Auteur : Rene Padilla
En 1988 déjà, un théologien latino-américain, Valdir Teuernagel, a écrit une thèse de doctorat où il étudie le thème des implications sociales de l’Évangile, prenant position par une déclaration qui est faite dans la convention de Lausanne sur la responsabilité sociale. Il souligne le besoin pour les évangéliques de travailler théologiquement et pratiquement sur la question de la justice. D’une certaine manière, le problème est que ce mot n’a pas toujours fait partie de notre lexique – je dirais principalement dans le monde anglophone. Voyez-vous, il existe un autre mot qui se traduit droiture. Souvent, quand le mot devrait être traduit par « justice », la traduction dit « droiture ». Ce qui signifie votre propre droiture. L’égalité de votre caractère en tant qu’individu chrétien – quand en fait, le texte parle de la justice dans la société.
Valdir Steuernagel (Brésilien qui, comme son nom l’indique, est d’origine allemande) définit la justice comme le moyen de libérer les opprimés – libérer les opprimés de leurs oppresseurs et leur donner la promesse dans la vision d’un monde nouveau et d’une vie nouvelle. Ceci s’accorde fort bien à la définition donnée par Brueggemann dans sa Théologie de l’Ancien Testament, « la justice sert à trier ce qui appartient à qui et à le lui rendre ». On peut donner beaucoup de définitions de la justice, mais, dans les Écritures, la portée est celle d’une justice qui innocente, qui restaure, qui remédie, qui corrige ; une justice qui redresse ce qui n’est pas juste, et qui s’applique en particulier à la société. Maintenant, depuis que Valdir Steuernagel a écrit sa thèse sur le besoin qu’ont les évangéliques de se pencher sur la question de la justice et d’y travailler théologiquement, l’injustice s’est accrue à pas de géants dans le monde.
L’Argentine en est un bon exemple. Nous avons connu un raz-de-marée économique en Argentine, en 2001. Vous n’en avez aucune idée. En particulier, si vous vivez au Royaume-Uni, vous ne pouvez pas imaginer ce qu’est un raz-de-marée économique. Les gens des classes moyennes se retrouvant tout à coup sans maison ni travail. Que faire ? Votre maison vous a été enlevée parce que vous n’arriviez plus à faire face aux traites. Vous avez perdu votre travail. Que faire ? En passant, si vous aviez quelques économies, elles sont bloquées, les banques sont fermées. Vous n’avez pas idée de ce qui s’est passé dans ce pays. Des milliers et des milliers de familles ont, quand elles le pouvaient, émigré en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Australie, n’importe où. On pouvait voir des familles de classe moyenne vivant dans la rue. J’étais choqué, parce que je n’avais jamais rencontré ce genre de pauvreté en Argentine, à Buenos Aires. Je l’avais rencontré en d’autres endroits. Mais jamais, au grand jamais en Argentine. Mais bien sûr, cela s’est passé en décembre 2001 suite à un très long processus. Tout avait commencé en 1976, la dette extérieure de l’Argentine était à l’ époque de 8 milliards dollars ; entre 1976 et 2001, la dette s’était accrue de 176 milliards de dollars, mais l’Argentine avait payé durant cette période 200 milliards de dollars.
Je ne sais pas si vous avez vraiment conscience de l’existence d’un système économique mauvais qui, en fait, détruit le monde. Je ne cherche pas à discuter pour savoir quel est le meilleur système économique, mais je vous assure que je ne suis pas marxiste. Cependant, je peux vous dire, j’ai vu les effets du capitalisme néo-libéral. J’ai vu le résultat d’une économie qui est dirigée par les grands groupes. Elle dirige une classe nationale. Je ne sais pas combien de chrétiens ont conscience de ce qu’une grande partie du contrôle de l’économie du monde entier est entre les mains de sociétés transnationales. Et il existe une classe trans-nationale ; il y aurait tant à dire sur ce sujet.
J’ai été encouragé à relire les prophètes. J’ai été étonné de découvrir tout à nouveau à quel point le message des prophètes s’adresse aux oppresseurs, au pouvoir et à ceux qui gouvernent, parfois soutenus par de faux prophètes. Nous en avons eu, il y a quelques semaines ; nous en avons entendu un qui parlait de tuer Chavez. On l’a entendu dans le monde entier. Quant aux prêtres, nous avons dans l’Ancien Testament un appel des prophètes de Dieu aux prêtres qui justifient le système, lui donnant une approbation spirituelle. Nous en avons aussi beaucoup, pas seulement en Amérique du Nord, mais dans le monde entier. J’aimerais dire que la question de la justice est encore à l’ordre du jour – peut-être aujourd’hui plus que jamais, dans un monde d’injustice et d’injustice institutionnalisée. Parce que c’est ce que nous avons.
Jetez un coup d’œil à Ésaïe. C’est incroyable ce qu’on y trouve. Le prophète s’adresse à ceux qui ont le pouvoir de promouvoir les lois, ceux qui ont le pouvoir de les faire appliquer et ceux qui sont en position de juger. Toutes les puissances de notre société moderne : pouvoir exécutif, pouvoir législatif et question de justice, tout y est. Tout y est, tous les puissants sont nommés.
On entend souvent : « Que faire ? C’est le seul système qui marche. » Fukuyama dit que c’est la fin de l’histoire, il n’y a pas de compétition. Ce système marche. Il s’est révélé être le seul système qui puisse prévaloir. Pour qui marche-t-il ? Pour qui est-il un succès ? Pas pour les millions et les millions et les millions de pauvres dans le monde – y compris dans les pays riches qui ont beaucoup de pauvres. J’ai lu des statistiques sur la croissance de la pauvreté aux États-Unis. C’est incroyable, vraiment incroyable – en particulier sous le gouvernement actuel qui, souvenez-vous, est sensé être un gouvernement chrétien. Il n’y a jamais eu autant de prière et d’études bibliques à la Maison-Blanche.
Je crois que Tearfund a une place très particulière dans le plan de Dieu à cette période de l’histoire. Pas seulement pour aider les pauvres à l’étranger, pas seulement pour apporter une aide financière, mais Tearfund est appelé à être une voix prophétique dans le monde d’aujourd’hui.
Quand Helder Camera, connu comme le prophète de l’Amérique latine, s’est vu poser la question, dans ce pays (le Royaume-Uni) : « Que pouvons-nous faire pour ce qui est de la pauvreté en Amérique latine ? » Il a dit : « Assurez-vous de remplir votre rôle prophétique au Royaume-Uni. » Le rôle prophétique est lié à la justice. L’appel à la justice s’adresse à tous ceux qui sont en position de pouvoir. Que Dieu soit remercié pour tout ce que Tearfund a été capable de faire jusqu’ici. La participation au Jubilée 2000 a été une étape importante.
Beaucoup de personnes disent : « Que peut-on faire ? » C’est le seul système, le seul système. L’imagination prophétique, pour reprendre l’expression de Brueggemann, ne nous autorise pas à dire que c’est le seul système. Ce n’est pas le seul système ; c’est le système à cause duquel le monde a été détruit. Les problèmes fondamentaux de la société restent intacts. Parlez d’écologie, parlez de destruction des relations, parlez du besoin de trouver un but à la vie pour les jeunes, autre que de gagner de l’argent.
Il y a quelque temps, j’ai été frappé par un titre que j’ai vu dans un magazine : « Crise du capitalisme ». J’étais étonné, parce que son auteur est un capitaliste de renom : George Soros. Si cet article avait été écrit à l’époque de la guerre froide, son auteur aurait assurément été dit marxiste. Mais dans cet article, il disait : « La société ouverte est détruite par le capitalisme et nous vivons sous la dictature de l’économie. Tout fonctionne sur la base de l’intérêt économique. » Eh bien, cela est en accord avec ce que l’économiste chrétien, qui était professeur à l’université libre d’Amsterdam, dit. Il dit que « le système économique moderne contemporain ne cherche à comprendre et à soutenir que ce qui a trait au cash-flow, à la consommation, au revenu et à l’argent dans une économie de marché. » Il ne se soucie pas de la vie humaine. Il ne se soucie pas des valeurs de la société – à commencer par la valeur de justice. N’attendons pas de ceux qui se consacrent au système qu’ils changent quoi que ce soit, à moins que, par la grâce de Dieu, il ne s’accomplisse quelque miracle dans leur manière de penser. Je suis convaincu que notre souci de justice n’est pas un simple souci humain.
Je veux mentionner très brièvement trois raisons pour lesquelles nous devrions nous soucier de la justice. Premièrement, notre Dieu est un Dieu de justice et nous l’oublions parfois. Nous parlons du Dieu d’amour. Gloire à Dieu, il est un Dieu d’amour ! Mais il est également un Dieu de justice. Laissez-moi vous citer deux textes : Psaume 99.4 et Ésaïe 61.8.
« C’est un roi puissant aimant la justice. Oui, c’est toi qui as établi le droit, et qui as établi en Jacob la justice et l’équité. »
Psaume 99.4
« Moi, l’Éternel, moi j’aime la droiture. Je déteste le vol avec la perfidie. »
Ésaïe 61.8
« J’aime la justice », c’est la première raison.
La seconde raison est que notre Dieu attend la justice. Vous connaissez le merveilleux texte de Michée 6.8. Les gens demandent : « Comment plaire à Dieu ? Devons-nous offrir des sacrifices ? Devons-nous être religieux ? » Quelle est la réponse de Dieu ? Il dit, par la voix du prophète :
« Ce que l’Éternel demande de toi,
C’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde,
et que tu marches humblement avec ton Dieu. »
Michée 6.8
C’est le plus simple de tous les témoignages. « Pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec ton Dieu. »
Et la troisième raison c’est que notre Dieu a agi en son Fils, Jésus-Christ, pour accomplir sa promesse d’un monde de justice et de paix. Le croyons-nous ? Est-ce que la venue de Jésus pour vivre au milieu de nous a fait une différence quelconque en ce qui concerne la justice ? Beaucoup de chrétiens attendent le royaume de Dieu futur. Dans la proclamation de Jésus, en sa propre personne, la personne et l’œuvre de Jésus-Christ, le royaume est venu. Nous sommes la communauté du Roi, appelés à démontrer par notre vie ce qui est devenu réalité grâce à Jésus-Christ. Le royaume de Dieu est venu, pas dans sa plénitude, c’est tout à fait évident. Mais Dieu est à l’œuvre pour montrer la possibilité de signes du royaume. Tearfund et tous ses partenaires dans le monde sont appelés à être des signes du royaume, à pratiquer la justice, à aimer la miséricorde et à marcher humblement avec Dieu.
Permettez-moi de finir par la lecture d’un passage merveilleux. J’y reviens très souvent. Ce sont les paroles que Jésus-Christ a prononcées, au début de son ministère, dans la synagogue de Nazareth.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi,
parce qu’il m’a oint
pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ;
il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance,
et aux aveugles le recouvrement de la vue,
pour renvoyer libres les opprimés,
pour proclamer une année de grâce du Seigneur. »
Luc 4.18-19
Ce n’est pas tout. Ce n’est que la citation de l’Ancien Testament (Ésaïe 61.1-2). Je veux vous laisser les paroles par lesquelles Jésus a terminé son sermon.
« Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. »
Luc 4.21
Amen.
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