La Bible nous présente-t-elle une société composée exclusivement d’une classe moyenne, sans riches ni pauvres ?
Telle est la question posée ici par Clément Blanc, pasteur des Assemblées de Dieu de France et étudiant en master recherche à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine, dans le cadre duquel il étudie la réception des enseignements du Nouveau Testament sur l’argent.
Idéal de classe moyenne ?
Proverbes 30.8b-9[1] :
(…) ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre, car dans l’abondance, je pourrais te renier et dire : « Qui est l’Éternel ? » ou bien, pressé par la misère, je pourrais me mettre à voler et déshonorer ainsi mon Dieu.
Quel est le regard de la Bible sur les inégalités économiques ? Est-ce que, comme ce proverbe pourrait le laisser penser, l’idéal serait dans une classe moyenne universelle ? Dans une société sans pauvre ni riche ? Concrètement, est-ce que les salaires et le capital devraient être plafonnés et tout le monde devrait toucher un revenu universel suffisant pour éradiquer la pauvreté ? La Bible n’est pas un manuel d’économie, et elle a été écrite dans des contextes bien différents du nôtre, mais elle a néanmoins beaucoup de choses à dire sur ces questions.
Disparition des riches ?
L’existence des riches est-il un mal en soi ? Dit simplement : non. Dans la bonne création de Dieu, la richesse est un cadeau du généreux Créateur. Profiter des bonnes choses de cette terre, c’est profiter de la bonté de Dieu (1 Timothée 4.1-5). Dieu ne se repent pas de rendre certains hommes extrêmement riches (Genèse 13.6 ; 1 Rois 3.13).
Disparition des pauvres ?
À l’autre bout du spectre, qu’en est-il des pauvres ? L’idéal est clairement qu’aucun être humain n’ait à subir la pauvreté, encore moins l’extrême pauvreté (fixée à 1,90 dollar par personne et par jour). Malheureusement près de 736 millions de personnes dans le monde souffraient d’extrême pauvreté en 2015. Comme un document du mouvement de Lausanne l’affirme : « la pauvreté involontaire est une offense contre la bonté de Dieu.[1] » Autant dans la Loi (Lévitique 19.9-10 ; Deutéronome 14.28-15.1-15 ; 24.19-22) que par ses prophètes (Ésaïe 1.17 ; 58.7-10 ; Jérémie 22.13-17 ; Ézéchiel 22.29 ; Amos 5.11-12), Dieu enseigne qu’il est de la responsabilité de tous qu’il n’y ait pas de pauvre en Israël (Deutéronome 15.4-5). Ce commandement trouve son accomplissement avec l’Église de Jérusalem dans le livre des Actes : Tous ceux qui étaient devenus des croyants vivaient dans une parfaite unité de cœur et d’esprit. Personne ne se prétendait propriétaire de ses biens, mais ils partageaient tout ce qu’ils avaient. […] Aucun d’eux n’était dans le besoin, car ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le produit de la vente. (Actes 4.32, 34)
Responsabilité de tous
On voit donc dans la Loi, les prophètes, et l’Église, qu’il est de la responsabilité de tous ceux qui ont plus que le nécessaire de partager avec ceux qui sont dans le besoin, pour qu’il n’y ait plus de pauvre. Les riches sont particulièrement visés ; Dieu condamne tout riche qui ne cherche pas à secourir le pauvre (Job 29.12-16 ; 31.16-23 ; Luc 16.19-31). Mais cet appel à la générosité ne se limite pas aux riches ; il vise tous ceux qui ont plus que le stricte nécessaire (Matthieu 25.31-46 ; Luc 3.10-11 ; 1 Jean 3.17).
La manière dont Paul appelle les Corinthiens à venir en aide aux chrétiens de Jérusalem résume bien cet idéal de partage :
Il n’est pas question de vous réduire vous-mêmes à l’extrémité pour que d’autres soient soulagés, il s’agit simplement de suivre le principe de l’égalité. Dans la circonstance présente, par votre superflu[1], vous pouvez venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Aussi, par leur superflu, ils pourront un jour subvenir à vos besoins. Ainsi s’établit l’égalité, suivant cette parole de l’Écriture : Celui qui avait ramassé beaucoup de manne n’en avait pas de trop, et celui qui en avait ramassé peu ne manquait de rien (2 Corinthiens 8.13-15). Selon Paul, le superflu des uns doit servir à secourir les autres pour que chacun reçoive sa part de « manne ». Plutôt que de parler d’idéal de classe moyenne, il faudrait parler d’économie de la manne. Comme Dieu l’a appris à Israël (Exode 16), il pourvoit suffisamment pour que chacun ait de quoi vivre, tant que chacun continue de lui faire confiance en renonçant à accumuler de la manne et en partageant le surplus généreusement. L’essentiel est dans le partage du surplus pour « combler le fossé entre riches et pauvres […], de sorte que chacun ait ce dont il a besoin.[2] »
Ne me donne ni pauvreté ni richesse
S’agit-il donc d’un idéal de classe moyenne ? Pas directement. L’objectif n’est clairement pas de donner à tous les êtres humains le pouvoir d’achat des classes moyennes occidentales (qui seraient qualifiées de riches dans la Bible et par le reste des sociétés actuelles). Aujourd’hui plus que jamais, nous voyons qu’“Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité.” (Gandhi). Avec des centaines de million de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, le message biblique exhorte chacun à découvrir l’économie de la manne. Une économie pour que ceux qui ont plus que le nécessaire partagent généreusement avec ceux qui manquent de tout et qu’ainsi la pauvreté disparaisse.
Nous pourrions ainsi paraphraser la prière du Proverbes 30.8b-9 : Dans ta générosité, donne-moi ce dont j’ai besoin pour vivre. Dans l’abondance, donne-moi ta bonté pour partager avec le pauvre ; dans le manque, suscite la générosité pour que quelqu’un partage son surplus avec moi ; afin que nous jouissions tous des bonnes choses que tu nous donnes.
[1] Le terme grec (perisseuma) traduit ici par « superflu » peut aussi être rendu par « abondance ». Or « superflu » comme « abondance » restent des notions très relatives laissant chacun juge de leur signification concrète. En d’autres termes, ce qui est superflu pour l’un ne l’est pas pour l’autre.
[2] Craig Blomberg, Ne me donne ni pauvreté ni richesse, Charols, Excelsis, 2001, p. 219.
[1] LOP 20 – An Evangelical Commitment to Simple Lifestyle, 1980, p. 6.
[1] Toutes les citations bibliques de cet article sont tirées de la Bible du Semeur.
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