Auteur : René Padilla – Kairos, Argentina
1 Introduction
1.1 Nous pouvons à peine penser à un sujet qui serait plus approprié pour la conférence à laquelle nous avons été invités que celui que nous avons avant nous : L’Impact de la Mondialisation sur les Pauvres. Avant que le sujet ne soit discuté, il faut cependant nous mettre d’accord sur une définition commune à la mondialisation – qui pour beaucoup de gens représente une malédiction tandis que pour d’autres elle représente une bénédiction. Ou serait-ce possible que le phénomène auquel le terme se réfère est peut-être interprété comme une malédiction ou comme une bénédiction, selon son impact sur des personnes vivant dans des situations différentes – Si c’en est le cas, la première chose à dire est que la mondialisation est un terme ambigu.
1.2 L’ambiguïté demeure aussi longtemps que la mondialisation est interprétée comme un phénomène neutre – simplement comme le processus par lequel les aspects multiples de la réalité naturelle, culturelle, sociale, économique, et politique qui se conforment au milieu de vie humaine sont devenus interconnectés de telle manière que ce qui se passe ou se fait dans un endroit, est automatiquement connu par ceux qui vivent dans d’autres parties du globe. Selon cette perspective, la mondialisation est plus que jamais vécue en termes d’une prise de conscience planétaire – l’idée qu’un nombre croissant des gens semblent avoir l’impression d’appartenir à un monde, comme le présentent les médias. Le terme le plus approprié serait peut-être l’internationalisation.
1.3 L’ambiguïté de la mondialisation est cependant dissipée, lorsqu‘on sait que la forme dominante de mondialisation au début du vingt et unième siècle est celle du soi-disant capitalisme néo-libéral. Selon Leslie Sklair (2002:8), la mondialisation du capitalisme, qui a émergé dans la deuxième moitié du vingtième siècle, est une manière particulière d’organiser la vie sociale à travers les frontières des états existants et inclut également trois éléments transnationaux interconnectés ou (comme il les appelle en d’autres termes) pratiques transnationales :
- l’entreprise transnationale, le noyau principal des pratiques économiques transnationales ;
- la classe capitaliste transnationale, le noyau principal des pratiques politiques transnationales et
- la culture-idéologie transnationale du consumérisme, le noyau principal des pratiques de la culture-idéologie transnationales.
1.4 La force motrice primaire du système mondial économique d’aujourd’hui est la classe capitaliste transnationale qui se compose des bureaucrates, des politiciens, et des professionnels mondialisés – qui selon Sklair (9) « tire ses ressources de base des entreprises transnationales… et du système de valeur de la culture-idéologie du consumérisme » et s’engage dans « des pratiques qui traversent les frontières [nationales] mais qui ne commencent pas avec les pays exécuteurs, des agences, ou des institutions. » Toutes les preuves semblent se diriger vers la conclusion selon laquelle, « le Capitalisme mondial appliqué par les ETNs [entreprises transnationales], organisé politiquement par la classe politique transnationale, et alimenté par la culture-idéologie du consumérisme, est la force la plus puissante qui puisse apporter le changement au monde d’aujourd’hui » (47). La menace pour la démocratie représentée par cette forme de mondialisation a été clairement exprimée par George Soros, qui est lui-même un capitaliste à succès, lorsqu’il écrivit en ces termes : « Bien que j’ai fait une fortune sur les marchés financiers, je crains maintenant que l’intensification sans restriction du capitalisme de laissez faire et l’expansion des coûts du marché sur tous les domaines de la vie mette notre société libre et démocratique en danger. Je crois que l’ennemi principal de la société libre n’est plus le communisme mais la menace du capitalisme (1997:45). ¹
1.5 Depuis que l’article a été rédigé en 1997, le système du capitalisme mondial a prouvé qu’il constitue une grande menace non seulement pour la démocratie mais également pour l’environnement et pour la survie même de l’humanité et particulièrement pour les pauvres sur tout le globe. Sans nier les aspects positifs d’autres formes de mondialisation, les Chrétiens ont l’obligation de prêter une attention particulière face à l’impact négatif du système économique capitaliste sur les pauvres. Dans la première partie de cet article nous examinerons les idées de base se trouvant derrière une telle mondialisation qui cause la pauvreté et la pénurie pour un pourcentage élevé de la population mondiale, y compris les pays industrialisés. Dans la deuxième partie nous examinerons les dimensions essentielles de ce phénomène. En conclusion, dans la troisième partie, nous mettrons en relief le genre de réponse à la mondialisation qui, dans la perspective du royaume de Dieu, est attendu de la part de ceux qui sont engagés dans la mission intégrale.
2 LES IDÉES DE BASE DE LA MONDIALISATION CAPITALISTE
2.1 Le célèbre économiste indien Amartya a soutenu le fait que le phénomène de la mondialisation n’est ni d’origine occidentale, ni nouveau. Il affirme que pendant plusieurs milliers d’années, la mondialisation a apporté une contribution valable au progrès du monde par différents moyens, y compris la science et la technologie. La différence est que dans le passé, l’expansion de la science, la technologie et les mathématiques sont allées de l’Est vers l’ouest, plutôt que de l’Ouest vers l’Est. Ainsi, par exemple, en l’an 1000 après. JC., les inventions de haute technologie, telles que la poudre à canon, le papier, la presse, la voûte, la boussole, et le moulin à roue étaient communes en Chine mais pratiquement inconnues dans d’autres régions du monde. C’est cependant la mondialisation qui les a répandues à travers le monde, y compris en Europe. Le système décimal a été développé en Inde entre le deuxième et le sixième siècles, puis il a été utilisé par des mathématiciens Arabes et pour être ensuite introduit en Europe au cours du dernier tiers du dixième siècle, où il a joué un rôle important dans la révolution scientifique qui a transformé ce continent. Aujourd’hui, comme le dit l’économiste distingué, le même principe de mondialisation est en cours ; il a maintenant l’Ouest pour centre d’expansion. Il ne doit pas alors être interprété comme un phénomène essentiellement occidental ni être rejeté à cause de la pauvreté au travers du monde.
2.2 Le point développé par Amartya relatif à la réalité de la mondialisation dans le passé est bien pris, mais le fait qui demeure, est que jamais dans l’histoire de l’humanité il y eut un système économique si étendu géographiquement et si profond dans son influence sur des secteurs multiples de la vie que le système du capitalisme mondial d’aujourd’hui. Les changements que ce système a créé et continue de produire dans la vie humaine et sur l’écologie de la planète terre sont si radicaux qu’il ne serait pas exagéré de dire que l’humanité entre certainement dans une ère mondiale sans précédent. Car, comme l’a écrit Saskia Sassen : « au cours de ces quinze dernières années, nous avons pu voir une phase profondément différente [de la mondialisation], nous avons une phase dans laquelle les économies nationales sont de moins en moins une catégorie unitaire face aux nouvelles formes de mondialisation » (1998:xix).
2.3 En raison du rôle prédominant du capitalisme dans cette nouvelle ère, une compréhension correcte de ce qui se passe dans le monde en général et dans les nation-états en particulier, et qui affecte les pauvres, exige une analyse des idées de base du système du capitalisme mondial. Aucune discussion globale de ce sujet n’est pas ici possible, mais les idées peuvent facilement être identifiées par les arguments utilisés par les avocats du capitalisme mondial dans la défense de leur position.
2.4 L’idée la plus commune est que l’intégration des économies locales dans le système du capitalisme mondial est la voie qui mène aux progrès – économiques, et elle profite aussi bien aux pays industrialisés qu’aux « pays en voie de développement », aussi bien aux consommateurs qu’aux producteurs. En plus, elle stimule la concurrence en partageant la connaissance technologique, qui de ce fait accroît à tous les niveaux delà productivité et l’accumulation de profits. Une telle intégration de la disparition des barrières à la libre circulation du commerce et des capitaux, qui à leur tour fixe des limites au rôle du gouvernement et réduit la possibilité de corruption, de stagnation, et de bureaucratie qui sont – les malaises qui empêchent la croissance de l’économie des pays en voie de développement. Cette recette orthodoxe pour la croissance économique à travers le marché libre – la main invisible – est définie par le soi-disant consensus de Washington, promu par les États-Unis, et imposé par les institutions financières internationales telles que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, et l’Organisation Mondiale du Commerce. Il est supposé fournir la solution à la pauvreté mondiale. S’il est fidèlement appliqué, même les pays pauvres feront partie des premiers pays du monde, et leurs populations seront en mesure d’expérimenter la joie de vivre de la société de consommation.
2.5 Les idées fondamentales du capitalisme mondial peuvent être interprétées comme des expressions de la modernité et de la modernisation. Il y a un accord général parmi les historiens et les philosophes qui dit que le modernité s’est formée au début du dix-septième siècle en réponse à la crise sociale et économique profonde qui affectaient en ces temps-là l’Europe. Par exemple, René Descartes a posé la fondation pour la construction d’une nouvelle cité humaine – basée sur la raison humaine pure. Thomas Hobbes a interprété la société comme un processus continuel d’ardeur, de rivalité et d’acquisition, il a aussi ouvert la porte à l’analyse nécessaire pour le règlement politique du comportement humain. Plus tard John Locke a proposé que ce qui est utile à la société peut être également vu comme moralement bon, de ce fait, il posa la base de l’Utilitarianisme. C’est là le début de l’approche de la pensée et de l’action rationaliste en Europe, qui a commencé par un individu mais a été également vue comme ayant plusieurs possibilités pour la reconstruction de la société humaine.
2.6 Goudzwaard et de Santa Ana ont résumé les caractéristiques de base de cette approche en trois principes :
- Le principe de Galilée-Descartes, de la primauté de la méthode mathématique, qui implique la possibilité de réduire le physis (nature) à une série d’entités calculées et qui est directement liée avec le côté opérationnel ou instrumental de la modernité
- Le principe de Hobbes-Rousseau de la rationalité socio constructive, qui considère la loi normale comme la base d’une logique pour la reconstruction de la société humaine.
- Les principes de Locke-Spinoza de la liberté individuelle et de l’égalité, qui ont commencé à partir de l’identification du droit individuel y compris celui de la propriété privée mais ont été également liés à une évaluation positive d’intérêt.
Par la suite la modernité et la liberté individuelle ont été considérées comme les deux faces d’une même pièce de monnaie et qui ont trouvées leur place dans la déclaration d‘indépendance des États-Unis, dans la nouvelle constitution française, et dans la structure de la vie économique, dans laquelle Adam Smith a établi la base scientifique. Une autre voie a été plus tard prise par Jeremy Bentham. Il était le premier penseur à utiliser une méthode mathématique pour vérifier toute sorte de reconstruction sociale avec une devise, « le maximum de bonheur pour le plus grand nombre », en reliant la commande de la société à la réalisation des souhaits humains.
2.7 Ces principes du siècles des lumières sont devenus les idées de base de l’idéologie de la modernité qui ont imprégné l’esprit occidental tout au long des trois derniers siècles. Il a été pris à la légère le fait qu’une approche raisonnable mènerait à la reconstruction socio-économique ; que la méthode mathématique mécanique serait la voie pour accéder à l’efficacité économique ; cette volonté autonome et cette autodétermination individuelle seraient les acteurs principaux dans le développement économique ; et cette intervention utilitaire dans la société devrait être encouragée aussi longtemps qu’elle favorise le bien-être (matériel) de tous. Sur cette base, la liberté et le bien-être sont devenus les buts politiques à réaliser non seulement dans la vie privée mais également dans la vie publique. En plus, l’amélioration relative des conditions de vie et les découvertes scientifiques et technologiques ont amené les gens à croire en l’inévitabilité du progrès. La connaissance a augmentée, et pourvu que les principes soient fidèlement appliqués, ils résulteront dans l’amélioration de tous les domaines de la vie humaine. Cette confiance en l’économie, la science, et la technologie a été fermement établie avec le temps et a réussi à créer son chemin dans un programme de modernisation.
2.8. Le fait est de peut-être interpréter le phénomène du capitalisme mondial d’aujourd’hui comme une nouvelle étape dans le processus de la modernisation du monde. Sklair s’oppose à cette interprétation parce que, selon sa perspective, elle est en grande partie basée sur la distinction entre le traditionnel et le moderne. Selon lui, l’idée centrale [de la théorie de la modernisation] est que le développement tourne autour de la question des attitudes et des valeurs (plutôt que d’intérêts matériels exigés dans l’expansion du capitalisme). Les sociétés traditionnelles sont gérées par les individus qui ont une mentalité traditionnelle, typiquement par ceux qui sont introspectifs, non préparé à l’innovation, et qui sont influencés par la magie et la religion. Les sociétés modernes sont par contre gérées par les individus qui ont une mentalité moderne tournée vers l’extérieur, ils sont prêts à essayer de nouvelles choses et ils sont influencés par la pensée rationnelle et l’expérience pratique (2002:31).
Dans une analyse perceptive de la mondialisation contemporaine, l’auteur a cependant discuté le fait que le système du capitalisme mondial dépend largement des messages centraux provenant de ceux qui possèdent et commandent [c.-à-d., les membres de la classe transnationale, pour employer sa propre terminologie] les entreprises principales (106). Il place ces messages clés dans le cadre de la culture-idéologie du consumérisme qui selon lui transforme tous les médias de masse et leur contenu en des occasions de vente d’idées, de valeurs, de produits, en bref, le point de vue du consommateur – (108). Il est devenu ainsi évident que selon sa propre compréhension, les idées, les valeurs, et les opinions du capitalisme mondial jouent un rôle aussi important que celui qu’elles jouent dans la vision de modernisation de la mondialisation. La source du problème est que les idées de base de la culture-idéologie transnationale du consumérisme ont leurs racines dans la modernité : les membres de la classe transnationale qui possèdent et dirigent d’importantes entreprises sont les descendants directs du siècle des lumières et les entreprises transnationales sont les plus sophistiquées et les dernières réalisations des idées qui se sont formées en Europe avant le dix-huitième siècle.
2.9 Il y a cependant beaucoup d’évidences pour démontrer qu’il y a des moments où de telles idées pourraient être prises à la légère. Loin de réduire la pauvreté, le système du capitalisme mondial est bâti sur des idées qui sont devenues le facteur principal contribuant à la prolongation et à l’approfondissement de ce fléau principal. En effet, le net résultat de la formule du marché libre est ce que Leslie Sklair a appelé la polarisation des classes – d’où l’émergence d’une aristocratie transnationale des gens matériellement riches et politiquement puissants à l’opposée d’une masse croissante des pauvres et des démunis, incapables de satisfaire en tout temps à leurs besoins les plus élémentaires. L’élargissement de l’écart non seulement entre les pays riches et les pays pauvres mais également entre les riches et les pauvres des pays qui appartiennent au premier monde2, prouve clairement que le système de capitalisme mondial profite à la minorité riche mais enferme la majorité des pauvres dans la pauvreté.
3. LES DIMENSIONS DE LA MONDIALISATION
3.1 Dans son livre prophétique intitulée « Capitalisme et Progrès : Un Diagnostic de la Société occidentale » (1979), l’économiste hollandais Bob Goudzwaard a décrit la société occidentale comme un système opposé au progrès « affecté par trois vulnérabilités :
1) La vulnérabilité écologique a rendu très évidente la pollution du sol, de l’eau, et de l’air, et l’extinction de nombreuses espèces de plantes et d’animaux, et la disponibilité décroissante aussi bien des matières premières que de l’énergie, que des terres cultivée pour nourrir la population croissante du monde.
2) La vulnérabilité économique, démontrée par l’inflation et « le chômage structurel », sous un système économique qui est devenu « déséquilibré et très lourd » (136), avec une éthique qui « a été au service de l’expansion économique » (139).
3) La vulnérabilité humaine, démontrée ailleurs par la façon dont les gens sont pressés pour accepter l’ajustement continuel des demandes externes et importunes qui sont faites selon « le style, le rythme et la direction de vie » (150) et aussi en ce qui concerne des sports, la vie sexuelle, et le temps libre. Les gens sont continuellement à la recherche d’excitation, de sensations, et de tressaillements (149).
Selon Goudzwaard, une société marquée par ces vulnérabilités est une société « une société tunnel » dans laquelle toute chose, tout homme, tout établissement, toute norme, et tout comportement contribuent à l’avancement sans obstacle vers la lumière et vers la fin du tunnel. Cependant la fin du tunnel semble ne jamais pouvoir être atteinte mais la lumière brille toujours dans le futur. Néanmoins, elle maintient toute chose et chaque homme dans ce tunnel (183) – en mouvement vers » le développement économique, technologique, et scientifique continuel que nous rendons égal à la liberté sociale et à l’avance culturelle » (185). Selon Goudzwaard, c’est une société dans laquelle la foi joue un rôle fondamental, mais aussi dans laquelle, « notre progrès est devenu notre problème. Le tunnel est devenu notre piège « (ibid.).
3.2 Depuis la publication de : Le Capitalisme et Le Progrès, Goudzwaard est revenu sur l’analyse des problèmes de la société occidentale, en portant un accent particulier sur ceux qui sont liés à l’économie et à l’écologie. Dans Au Delà de la pauvreté et de l’affluence : Vers une Economie de Soin (1995), Coécrit avec Harry de Lange, ancien professeur de l’université libre d’Amsterdam, il décrit six paradoxes qui prouvent que les problèmes économiques qui affectent les nations industrialisées sont devenus structuraux :
1) Le Paradoxe De la Pénurie : « notre société est une société de richesse sans précédent qui traverse une pénurie sans précédent » (2) ;
2) Le Paradoxe De la Pauvreté : Il y une montée croissante de la pauvreté dans nos sociétés »(3) riches ;
3) Le Paradoxe Des Soins : « Au milieu de grandes richesses, nous avons peu d’occasions de pratiquer les soins comme autrefois » (4) ;
4) Le Paradoxe Du travail : la demande de travail devient de plus en plus critique pendant que le chômage augmente »(ibid. du chômage.) ;
5) Le Paradoxe De la Santé : « quoique le niveau de soin de santé ait augmenté, celui de la maladie est en croissance » (5) ;
6) le Paradoxe du Temps : « En dépit de nos grandes de richesse, nous avons de moins en moins de temps dans la vie » (5). Selon Goudzwaard et de Lange, ce sont là des » développements nouveaux, ahurissants, et apparemment inexplicables » qui se dévoilent dans l’économie d’aujourd’hui (2).
Nul n’a besoin d’être un économiste pour identifier la valeur essentielle de ce diagnostic de la société occidentale. Chacun de ces six paradoxes est au coeur même des pays industrialisés et il y a beaucoup d’évidence pour démontrer ses conséquences. Déjà au milieu des années 70, Alvin Toffler avait perçu les signes de ce qu’il a appelé la « dépression du futur », cela impliquait la faillite de la société industrielle, pour faire place à la naissance d’une nouvelle civilisation (1975). Les paradoxes d’aujourd’hui prouvent que la société qu’il avait prédite est parmi nous – c’est une ordre social nouveau et nettement différent : une civilisation super industrielle qui sera technologique et non plus industrielle « (3). Les économistes conventionnels ne peuvent pas totalement expliquer, du moins même faire face « à l’économie schizophrène d’aujourd’hui, qui a perdu contact avec la réalité » (1). Comme Toffler le dit si bien, « rien dans l’histoire des sociétés traditionnellement industrielles ne les a or ne nous as préparé à la communication instantanée, et rapide, à l’Eurodollars, aux Pétrodollars, aux entreprises multinationales et aux ganglia tels les consortiums d’opérations bancaires internationales du monde d’aujourd’hui (5).
3.3 Cependant aucune analyse de la société occidentale n’est complète si elle ne tient pas compte du rôle que joue cette richesse matérielle dans l’économie du marché libre, non seulement dans les pays industrialisés mais aussi partout dans le monde actuel. En se fondant sur la supposition que les sciences économiques sont une science positive, neutre, et libre de toute valeur qui traitent des questions de production, de consommation, de revenu, et du marché de l’argent. Le système économique mondial est presque totalement orienté vers l’accumulation de richesse plus que vers la satisfaction des besoins élémentaires humains. Par conséquence, selon Goudzwaard et de Lange, ce système a négligé au moins quatre domaines importants : les besoins économiques, la nature et l’environnement, la responsabilité économique, et le travail. « Les sciences économiques néoclassiques n’étaient pas conçues pour aider à faire face à ces problèmes » (59). Sa devise est : la richesse pour la richesse. Le souci de faire du profit a la priorité sur le souci de subsistance ; le travail et les matières premières sont de simples produits de commodités. Selon le règne de Mammon, le monde est profondément affecté par des vulnérabilités écologiques, économiques, et humaines. Il est en fait devenu un casino mondial « . Toffler 1975:1), dont l’une des caractéristiques fondamentales est l’incapacité au niveau des mécanismes de régularisations nationales de traiter des réalités économiques transnationales » (5).
3.4 Ce dernier rapport de Toffler révèle une des marques principales de l’actuel système du capitalisme mondial : “les réalités économiques transnationales » qui surpassent « les mécanismes de régulations nationales ». Les formes institutionnelles de ces réalités sont les entreprises transnationales, les banques, et les institutions financières internationales dont les pratiques économiques surpassent les frontières nationales. C’est avec tristesse que dans les pays latino-américains nous nous rendons compte que, nous l’aimions ou pas, nous faisons partie d’un système économique mondial dans lequel nos nation-états et leurs gouvernements ont très peu de commande voire aucune. Fondamentalement parler aujourd’hui de la mondialisation c’est parler « des réalités économiques transnationales » qui conditionnent la vie humaine d’une manière décisive partout dans le monde sur une base, à la fois individuelle et communautaire. Ce qui a été mondialisé, c’est en fait, le soi-disant système néo-libéral du capitalisme ayant pour centre les pays industrialisés. La transnationalisation des capitaux de production, du commerce, et monétaire a transformé la planète en un marché mondial orienté vers l’accumulation de capital au profit de ce que Sklair a appelé une classe transnationale – une petite minorité gens puissants qui définissent les politiques nationales selon leurs intérêts économiques, au détriment complet des besoins élémentaires de la population3. « Avec les marchés de finances transnationaux comme les agents propriétaires des capitaux, l’économie du marché capitaliste a accompli un progrès significatif dans son but de diriger la société mondiale comme une annexe des marchés autorégulateurs » (Duchrow 1995:71).
3.5 Si aujourd’hui quelque chose est clair, c’est que la solution que les politiciens qui sont au pouvoir, ou en connivence avec la minorité riche, essayent de réaliser en face des paradoxes posés par l’actuel système économique mondial ne fonctionne simplement plus. A la base de la solution qu’ils proposent se trouve la supposition que les problèmes économiques doivent être résolus en laissant le marché des produits et les services fonctionner librement, conformément au principe de la concurrence. Dans la pratique, dans une société caractérisée par un tel déséquilibre rigide de puissance, le résultat inévitable de la concurrence serait que le fort devienne plus fort et que le faible devienne plus faible. En termes économiques, les riches deviennent plus riches, et les pauvres deviennent plus pauvres. En fait, ce qui se produit n’a pas besoin d’être démontré ici. Il y a une grande quantité d’évidences publiées pour démontrer les effets dévastateurs que « le capitalisme sauvage » a sur les secteurs pauvres de la population non seulement en Asie, en Afrique, et en Amérique latine, mais également dans les pays riches ; et non seulement sur les gens, mais également sur l’environnement. L’effet le plus dramatique de l’économie de marché mondial a été l’apparition d’une nouvelle division au sein de la société qui met en relief une nouvelle polarisation des classes – la polarisation entre les riches et les pauvres devient de plus en plus évidente dans les deux tiers mondes. Au sommet de l’échelle sociale se trouvent « les élites » qui bénéficient du système – les propriétaires des atouts financiers, les consommateurs du marché par excellence. Toffler se réfère à eux dans les termes suivants :
Les cadres, les banquiers, et les financiers des entreprises multinationales ne sont pas les personnages sinistres sortis d’un certain dessin sarcastique de la Pravda. Ils ne sont pas non plus tous des espions et des saboteurs contre-révolutionnaires comme le suggère le rôle de T&T au Chili. Ils sont simplement des investisseurs, des directeurs, et des gestionnaires qui tirent profit de la plus grande tare du monde [le manque de règlements satisfaisants pour les entreprises mondiales] et le bouleversement de l’économie mondiale dans le processus (78).
3.6 Au bas de l’échelle social se trouvent « les exclus » un nombre croissant de gens dont le rôle, en ce qui concerne le marché, est limité à celui de spectateur (en grande partie non informé). Ils sont exclus du marché et non de la société, parce qu’ils sont considérés comme totalement superflus par rapport aux transactions financières nationales et internationales qui ont lieu au sein du système économique. Ils sont les premiers à souffrir des conséquences des réductions budgétaires drastiques au sein de l’éducation, de la santé, du logement, de la sécurité sociale, des programmes pour la retraite, etc., qui sont imposées par les puissances mondiales. Incapable de pourvoir à leurs besoins les plus élémentaires, ils payent le soi-disant coût asocial « du développement macro-économique. Ils sont les victimes que le système met de côté pour le sacrifice humain exigé par l’ »idolâtrie du marché » ! (Assmann et Hinkelammert 1989).
3.7 Il y a quelques années on disait souvent qu’en vendant leurs matières premières aux riches, les pays pauvres hypothéquaient leur futur. Dans l’actuel système du capitalisme mondial, leur situation difficile a empiré au point qu’il n’y a aucune exagération de dire que les pauvres n’ont plus de futur à hypothéquer, parce que leur futur a déjà été vendu aux riches tout comme leur présent. Il est ajouté à ceci l’évidence de la précarité écologique de ce système économique pervers face auquel nul ne peut s’empêcher de soulever la question quant à la façon dont le mythe continue à entretenir le fait que le capitalisme du laissez faire offre la possibilité de diriger le monde entier dans une ère d’aubaine dans laquelle le maximum de bonheur pour le plus grand nombre – sera atteint. La réponse demeure dans ce que Sklair a convenablement appelé la culture-idéologie transnationale du consumérisme – efficacement repartie dans le monde entier par le biais des médias de masse (2002:108-115). En fait, les médias de masse actuelle jouent un rôle prédominant dans la création d’une conscience mondiale, ils facilitent également l’acceptation mondiale des valeurs de la société de consommation, y compris celle de la priorité de l’argent et des biens matériels dans tous les domaines de la vie. Lorsque l’opinion publique est soumise à la manipulation de la part de grands intérêts économiques, les questions sur l’éducation publique, la santé, le logement et la durabilité écologique sont indéfiniment remises à plus tard au bénéfice de l’accumulation de profit et de la croissance économique. A cet effet, les médias de masse font une différence qualitative quant à la manière dont le pouvoir est aujourd’hui exercé par les puissances mondiales.
4 LA RÉPONSE CHRÉTIENNE À LA MONDIALISATION
4.1 Le résultat de notre analyse critique de la mondialisation du capitalisme peut donner le sentiment que rien ne peut être fait face aux problèmes que cette forme de mondialisation a créés, particulièrement la polarisation entre les riches et les pauvres ainsi que la destruction de l’écosystème. Ce sentiment d’impuissance, combiné avec l’idée habituelle selon laquelle il n’y a aucune autre alternative – au système du capitalisme, peut être la raison principale qui explique pourquoi tant de gens, Chrétiens et non Chrétiens, qui reconnaissent l’impact négatif du capitalisme mondial dans la vie sur terre s’abstiennent de participer activement dans la lutte pour la transformation socio-économique et politique.
4.2 Cependant pour les chrétiens, la résistance contre le système de la société de consommation établi sur de fausses suppositions et des valeurs corrompues n’est pas facultatif. Les problèmes que posent le capitalisme global ne sont pas simplement, ni principalement, économique ou technique, mais moraux et spirituels. Cynthia D. Moe-Lobeda (2002:xiv) a donc raison de dire que l’appel à aimer notre prochain comme soi-même’ comprend un appel à renverser les structures de l’exploitation et à forger des alternatives durables – En même temps, nous devons cependant reconnaître que la lutte à laquelle nous sommes appelés ne peut pas se faire sur le fondement d’une simple force humaine, étant donnée que notre – lutte n’est pas contre la chair et le sang, mais contre toutes dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres et contre les esprits méchants dans les lieux célestes (Eph 6:12). Comme je l’ai partagé dans un colloque sur la Convention de Lausanne il y a plusieurs années – le matérialisme qui caractérise la société de consommation donne résidence aux puissances de destruction auxquelles se réfère le Nouveau Testament – (1976:211). J’ai fait la synthèse de l’enseignement du Nouveau Testament (particulièrement les enseignements de Paul) sur le monde comme étant un système dans lequel le mal est organisé en opposition à Dieu – Et j’en ai conclu que :
La technologie et le capital peuvent tous les deux se mettre au service du bien ou du mal. De leur union, qui ne reconnaît aucun principe moral, a émergé la société qui adore la prospérité économique et le bien-être matériel conséquent des homos consumens. La société de consommation reflète la situation sociale, politique et économique même dans laquelle, le monde, dominé par les puissances de destruction a pris forme aujourd’hui : la foi aveugle dans la technologie, la révérence irréversible de la propriété privée et pour le droit inaliénable, le culte de la production de masse à travers la dévastation irresponsable de la nature, l’enrichissement disproportionnel des entreprises multinationales [transnationales] qui appauvrissent de plus en plus les déshéritiers de la terre – la fièvre du consumérisme, l’ostentation, et la mode. Ce matérialisme est l’idéologie qui détruit la race humaine (213). Si cette interprétation de la nature de la lutte dans laquelle nous sommes engagés est correcte, comme je crois que c’est le cas, la première condition pour la réalisation de notre appel doit être d’observer l’exhortation de Paul – fortifiez-vous dans le Seigneur et dans sa force toute puissante. Par dessus tout revêtez-vous de toute l’armure de Dieu, prenez à vos reins la vérité pour ceinture, revêtez la cuirasse de la justice, l’Évangile de paix, le bouclier de la foi, le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, et la prière dans l’esprit (Eph 6:10-18). En d’autres termes, le point de départ pour une réponse chrétienne à la forme de déshumanisation de la mondialisation que nous avons brièvement analysée se doit de reconnaître avec un grand sérieux que notre vie et notre mission sont enracinées dans la bonne nouvelle de l’Évangile, dans la vie et dans l’œuvre notre Seigneur Jésus Christ. Laissez-moi expliquer.
4.3 Tout d’abord, une condition de base pour une compréhension appropriée de la vie et de la mission de l’Église dans le contexte de la société du capitalisme mondial est d’avoir une compréhension appropriée de l’Évangile. La tâche centrale de l’Eglise est de communiquer la Bonne Nouvelle, celle que les chrétiens sont appelés à communiquer est fondée sur Jésus Christ, sur son incarnation, sa vie, sa mort, sa résurrection, son exaltation, et son avènement. L’Évangile tout entier englobe tous ces événements du salut et considère l’œuvre de Christ non seulement en termes de salut individuel – souvent compris comme une expérience subjective de la rémission des péchés – mais également en termes de la volonté de Dieu pour ramener l’humanité de nouveau à Lui, pour réconcilier les membres de la race humaine les uns avec les autres et avec la création de Dieu, selon son dessein original. La Bonne Nouvelle du royaume de Dieu est la bonne nouvelle de la transformation holistique. Lorsque nous voyons notre propre salut à la lumière du plan éternel de Dieu, il devient clair que nous ne sommes pas sauvés pour être heureux, ou matériellement prospère, ou exempt de souffrance. En fait, nous sommes sauvé afin de connaître le Christ, la puissance de sa résurrection et la communion du partage dans ses souffrances, devenant conforme à lui dans sa mort (Phil 3:10), alors que nous cherchons à coopérer avec Dieu le plus honnêtement possible dans l’accomplissement de son but pour l’histoire. Nous sommes sauvés en tant que membres du corps du Christ et en tant que tels nous sommes appelés à participer à sa mission pour la transformation du monde de telle sorte qu’il reflète la gloire de Dieu, la justice et la paix de son royaume – lequel royaume est devenu une réalité actuelle en Jésus Christ. Cet enracinement de notre vie et notre mission dans l’Évangile fait toute la différence dans notre approche des questions culturelles, écologiques, socio-économiques et politiques ainsi que dans l’approche des institutions séculaires et humanitaires liées aux mêmes questions. Il fait de l’amour de Dieu la motivation centrale du style de vie de Jésus, le modèle à suivre, et de la puissance de l’Esprit Saint la force mobile pour l’action chrétienne dans la société. En outre, il fournit un sens à la direction des activités dans lesquelles nous nous engageons afin d’accomplir notre appel. L’objet de notre travail n’est pas d’équiper les pauvres à devenir des membres à part entière de la société de consommation, c’est plutôt d’aider des hommes et des femmes quelque soit leur race, leur genre, ou leur classe sociale, à expérimenter la plénitude de la vie. Pour les pauvres cela implique la restauration du sens de la dignité humaine et de la satisfaction des besoins humains élémentaires. Pour les riches cela implique l’engagement moral dans l’économat – à ne pas être arrogant ni mettre leur espérance dans leur richesse qui sont si incertaines, mais plutôt de mettre leur espoir en Dieu – et de pratiquer le bien, d’être riche en bonnes oeuvres, et pour être généreux et d’avoir de la libéralité… afin de saisir la vie véritable – (1Tim 6:17-19). Pour le pauvre comme pour le riche, la plénitude de la vie implique de mettre Dieu au centre de la vie, de sorte que, comme le dit Paul, ils puissent dire : je sais vivre dans l’humiliation et je sais vivre dans l’abondance. En tout et partout j’ai appris à être rassasié, à avoir faim, à être dans la disette. Je puis tout par celui qui me fortifie. (Phil 4:12-13).
4.4 Deuxièmement, une compréhension appropriée de l’Évangile implique un engagement en Christ qui est le Seigneur de toutes vies et de toute la création. Il y a accord commun sur la confession de la Seigneurie de Jésus Christ – c’était la confession de base de l’église primitive, le critère sur lequel notre relation avec Dieu et notre prochain a été établi. Cette confession de Jésus Christ a été faite dans le contexte du conflit face à d’autres confessions et croyances. C’est en cela que Paul soutient que : Nous savons qu’il n’y a point d’idole dans le monde et qu’il n’y a qu’un seul Dieu car s’il est des êtres qui sont appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, comme il existe plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père de qui viennent toute chose et pour qui nous sommes et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes. (1Cor 8:4-6).
La conséquence logique de la confession de la Seigneurie de Jésus Christ est la reconnaissance de sa souveraineté sur toutes vies et sur toute la création. Les chrétiens sont par définition – ceux qui invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ – (Cor 1:2), ceux qui croient que Jésus qui a été crucifié, a également été ressuscité des morts et a été fait le Seigneur et le Roi (Actes 2:36). La relation entre la résurrection, l’exaltation du Christ et son couronnement comme Seigneur est clairement exprimé dans Éphésiens 1:20-22, lorsque Paul affirme que la puissance de Dieu pour les croyants est semblable à celle qu’il a exercé en Christ lorsqu’il l’a ressuscitée des morts et l’a assis à sa droite dans les lieux célestes, au-dessus des principautés et des autorités, des puissances et des dominations, et au-dessus de tout autre nom qui existe non seulement dans le siècle présent, mais également dans le siècle à venir. Et Dieu a placé toutes choses sous ses pieds et l’a établi à la tête de toutes choses dans l’Eglise. Le Christ est le Seigneur de tous – (Rom 10:12) – Il a été couronnée pour exercer, par la puissance de Dieu, le règne de Dieu sur toute la création ; il a reçu toute autorité dans le ciel et sur la terre (Matt 28:18), et ceci fournit le fondement pour la proclamation de l’Évangile comme un message public. Si Jésus le Christ est le Seigneur de l’univers, l’Évangile n’est donc pas censé uniquement entretenir la foi privée des communautés chrétiennes qui reflètent les valeurs de la société de consommation4 mais bien plus ce que Dieu veut pour son peuple est qu’il : pratique la justice, aime la miséricorde et qu’il marche humblement devant son Dieu – (Michée 6:8). Il n’y a aucun doute que Dieu a à cœur nos besoins personnels et intimes, l’Évangile centré sur le Seigneur Jésus Christ est un message public à proclamer aujourd’hui dans le contexte du modèle actuel de la mondialisation économique [qui] menace les systèmes de la vie sur terre, l’intégrité culturelle, la diversité, et les vies de beaucoup de pauvres cela afin que certains puissent consommer de façon exorbitante et que quelques-uns accumulent d’énorme richesse – (Moe-Lobeda 2002:1). C’est maintenant l’intention de Dieu qu’au travers de l’Église, la sagesse infiniment variée de Dieu soit connue des dominations et des autorités dans les lieux célestes, selon le dessein éternel qu’il a mis à exécution par Christ Jésus notre Seigneur – (Éph 3:10). Alors le ministère prophétique de l’Église doit être compris à la lumière de cette intention divine.
4.5 Troisièmement, la formation de disciple comme un style de vie de missionnaire – la participation active dans l’accomplissement du dessein de Dieu pour la vie humaine et pour toute la création, comme révélé en Jésus Christ, en qui l’Église et chaque membre sont appelé, synthétise la mission de l’Église jusqu’à la fin des temps. Bien que Jésus Christ soit le Seigneur de tout l’univers, il doit quand même être proclamé en tant que tel à toutes les nations, afin qu’il y ait parmi elles des disciples qui le confessent comme « Seigneur de tous » et qui vivent leur vie sur la base de cette confession. Le domaine dans lequel il est confessé comme Seigneur doit atteindre la même dimension que le domaine de l’autorité reçut du Père. Cependant, ce but présuppose la proclamation du plein Évangile. Sans la proclamation de Jésus comme Seigneur il n’y a point de plein Évangile, et sans plein Évangile il ne peut pas y avoir de mission intégrale non plus. C’est le problème avec les différentes versions du message Chrétien qui limitent l’œuvre de Jésus Christ à la vie privée – aux problèmes spirituels – et qui excluent toute référence à sa Souveraineté sur d’autre domaine de la vie humaine et de la création. Si Jésus Christ est Seigneur de l’univers, sa Souveraineté inclut aussi bien le domaine économique que politique, le social que le culturel, l’esthétique que l’écologique, le personnel que le communautaire. Personne n’est en dehors du domaine de sa Seigneurie. Cela veut dire si Jésus le Christ est Seigneur de tout un chacun, l’Église n’est pas un agent du salut individuel qui met à la disposition des gens les avantages de l’œuvre de Christ mais plutôt de la communauté entière qui est appelée à incarner le témoignage de sa Seigneurie sur toute vie. Quiconque entend l’Évangile et y répond positivement devient ainsi un disciple de Jésus – il ou elle commence un processus de transformation qui dure toute la vie et implique tous les aspects de la vie.
A partir d’une perspective biblique, les orthopraxies – la pratique correcte de tout ce Jésus a enseigné à ses disciples est du moins aussi importante que les orthodoxies, sinon plus, sachant que le but de Jésus est que ses disciples vivent afin d’aimer et ainsi de révéler qu’ils sont les enfants du Père qui est dans les Cieux – être parfaits comme [leur] Père est parfait – (Matt5:45, 48). Les disciples de Jésus ne sont pas différents en ce qu’ils ne sont pas de simples membres d’une religion – du culte de Jésus – pour ainsi dire, mais parce qu’ils suivent un style de vie qui reflète l’amour et la justice du royaume de Dieu. La mission de l’Église ne peut donc pas être limitée uniquement au salut des âmes et à la mission d’implantation des églises – la mission de l’Église est de faire des disciples qui apprennent à obéir au Seigneur dans toutes les circonstances de la vie quotidienne, aussi bien dans le privé que dans les problèmes publics, dans le spirituel que dans le domaine matériel. L’appel de l’Évangile est un appel à une transformation holistique qui reflète le but de Dieu – qui est de racheter sa création dans toute sa dimension – une transformation basée sur le plein Évangile et centré sur le Seigneur Jésus Christ et orienté vers la réalisation de la volonté de Jésus – qui désire que ses disciples soient le sel de la terre – et lumière du monde. Il est tout à fait clair que la mission des disciples ne peut donc pas être limitée à l’augmentation du nombre des membres de l’église, mais à faire des disciples dont le style de vie reproduise l’exemple de Jésus – dans son amour inconditionnel manifesté envers Dieu et son prochain, à son humble service, dans sa solidarité envers le faible et l’opprimé, dans son engagement dans la vérité, son intolérance contre toute forme d’hypocrisie. La mission de l’Église est une invitation et un appel à suivre Jésus dans tous les domaines de la vie pratique.
La formation de disciples à l’image du Christ à lieu dans le contexte de la communauté de foi, et non pas en dehors de celle-ci. Jésus dit : le monde saura que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres – (Jn 13:35). Il est clair que pour Jésus, la marque du disciple est l’amour. Néanmoins, nul ne peut apprendre à aimer sans autrui. En fait, la connaissance – l’expérience – de l’amour de Christ qui selon Paul surpasse toute connaissance est possible uniquement dans l’unité des saints – (Eph 3:18-19). C’est dans l’Eglise – la famille de Dieu – que les disciples apprennent à aimer – en effet non seulement à aimer mais également à servir, à prier, à vaincre le mal, et à pratiquer de bonnes œuvres.
4.6 Quatrièmement, la mission intégrale a lieu lorsqu’elle est une expression véritable de la vie en Christ au travers de ce qu’est l’Église qui agit et se révèle comme témoin de Jésus le Christ, le Seigneur toute vie. Si l’Église perd de vue la centralité de Jésus Christ, elle cesse d’être l’Église de Dieu et devient une secte religieuse, incapable de s’identifier à son message de la vie pratique, à la fois personnel et social. Une église holistique est une église qui comprend que tous les domaines de la vie sont des champs de mission et elle est constamment à la recherche de voies et de moyens pour affirmer la souveraineté du Christ sur tout le monde. Si Jésus Christ est Seigneur de tous, l’Église est en réalité l’Église du Christ au point qu’elle elle se comporte comme la communauté – du Roi – et qu’elle définisse son but en termes de son témoignage envers Jésus, envers la gloire de Dieu, à travers ce qu’elle est, ce qu’elle fait, et ce qu’elle dit. En prenant en compte ces trois 3 dimensions : être, faire, et dire – la mission de l’Église est définie « par l’incarnation. » Si l’Évangile de la réconciliation en Jésus Christ doit être incarné dans la communauté chrétienne, il n’y a aucune manière d’éviter la question posée par la division de la société, à la fois au niveau local et mondial, à la longue, sociales, culturelles, économiques, raciales, et politiques. L’Église est appelée à être à la fois localement et globalement la communauté de la réconciliation entièrement engagée dans l’unité et l’acceptation mutuelle au sein de la diversité, de la fragmentation, de la discrimination, de l’exclusion, et de la ségrégation sociale. En conséquence, les premières exigences pour la mission à la fin du siècle sont la formation des Églises qui incarnent l’Évangile de la réconciliation. L’Église locale dont le collège est une illustration évidente du but de la réconciliation de Dieu en Jésus le Christ est en position unique de prendre l’initiative qui favorise le genre de dialogue ouvert nécessaire afin de permettre à la société civile dans le monde globalisé de trouver des moyens de participer à la solution des problèmes sociaux et écologiques.
Comme l’a indiquée Toffler, une grande partie de la planification qui est faite aujourd’hui dans l’espoir de résoudre ces problèmes est en grande partie », obsédée avec des sciences économiques, et élitiste, qui sont hors de la portée du citoyen ordinaire. Par conséquent, elle manque « de rétroaction négative essentielle [qui] ne peut venir que d’un public instruit, informé, et impliqué – (1975:100). Si la société veut s’éloigner de cette sorte de planification centralisée, conditionnée par les grosses entreprises, le processus de la prise de décisions doit de ce fait être démocratisé, « non simplement parce que cela est bon, juste, ou altruiste, mais parce que cela est aussi nécessaire [puisque] sans la participation à grande échelle des citoyens, même les plans les plus consciencieusement et expertement planifiés sont susceptibles de nous exploser au visage -(101). Pour un changement nécessaire, de nouveaux moyens doivent être trouvés afin de permettre le processus entier, même aux plus hauts niveaux, de la participation populaire, à la rétroaction au bas de échelle – (ibid.) Aucune institution dans la société n’est mieux adapté pour stimuler une telle « rétroaction au bas de échelle » pour le bien de tous les membres de la société ainsi que pour une église hétérogène qui voit toute la création sous le Seigneurie de Jésus Christ et qui a un fort sentiment de l’unité en Lui à travers toutes sortes de barrières.
En outre, si nous chrétiens avons été – sauvés pour servir – crées en Christ Jésus pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparés d’avance pour nous – (Éph 2:10), il n’y a pas de place pour la division totale que nous faisons souvent entre la foi et les œuvres, entre l’Évangile personnel et l’Évangile social, entre l’évangélisation et la responsabilité sociale. Dans un monde profondément affecté par la pauvreté, l’exploitation, la violence institutionnelle, et l’injustice, l’Église est appelée à incarner l’amour et la justice de Dieu. La question pertinente adressée aux frères chrétiens des États-Unis mais également appropriée à n’importe qui en position privilégiée n’importe où dans le monde, est inévitablement la suivante : Allons nous garder le regard sur le vrai problème : allons nous faire usage de nos grandes ressources économiques et technologiques, ou de notre vaste système financier, pour favoriser le bien-être de tous, non seulement au profit de quelques-uns, mais pour apporter aux pauvres et aux démunis au sein de la grande communauté avec le reste d’entre nous en sorte de réaliser la justice dans le monde – (2000:6).
Pour la communauté de « ceux qui sont affamés et assoiffées de justice », tout effort pour manifester la justice de Christ au monde tombe dans la catégorie de « rendre témoignage » au Fils incarné de Dieu –. Dieu « aime la justice » (Psaumes 99:4). A l’opposé de la mondialisation du capitalisme néo-libéral, basé sur l’égoïsme et orienté vers l’intérêt personnel, nous sommes appelés à mondialiser la solidarité envers les victimes de la mondialisation, et de la mondialiser comme l’expression de vie que nous avons reçu en Jésus Christ, qui était oint par l’Esprit du Seigneur pour prêcher la Bonne Nouvelle aux pauvres… pour proclamer la liberté aux captifs et redonner la vue aux aveugles, pour libérer les opprimés, et pour proclamer une année de faveur du Seigneur (Luc 4:18-19). En même temps, dans le contexte d’être et de rendre témoignage, nous avons le privilège et la responsabilité de partager avec d’autres personnes la parole de l’Évangile. Très souvent dans les milieux évangéliques le mot témoin est séparé de la totalité du témoignage. En conséquence, plusieurs Chrétiens ne voient plus l’importance cruciale de partager oralement la Bonne Nouvelle. Et pourtant, tout comme les gens ont besoin de pain pour la vie physique mais ils ont également du Pain de vie. Partager à nouveau « l’histoire de Jésus et de son amour » est d’inviter les hommes et femmes à ne pas se conformer au siècle présent » (Rom 12:2) mais, reconnaître la Seigneurie de Jésus Christ sur sa vie fait partie intégrale de notre témoignage. Être témoin, vivre en témoin, et partager son témoignage sont les ingrédients essentiels de la mission de l’Église face à la mondialisation. C’est là l’ordre du jour de l’Église de Jésus Christ dans « le village planétaire » du début du vingt-et-unième siècle.
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West, Charles C. 2000. « Should Christians Take Marxism Seriously Any More ?, » International Bulletin of Missionary Research (January) : XXIV, 3:2-7.
../../spip.php?article222#sdfootnote1anc1 Soros a soutenue cette thèse sur « La Crise du Capitalisme Mondial : La Société Libre en danger (1998). En conformité avec Soros, Cynthia D. Moe-Lobeda, dans La Guérison d’un Monde Brisé : La Mondialisation et Dieu, chapitre 2 (30-45), « Handicaper la Démocratie : subordonner la Puissance Politique Démocratique à la Puissance Economique » a argumenté d’une façon convaincante que « La Mondialisation coopérée et financièrement motivée fait obstacle à l’agence morale en affectant la démocratie. Plus spécifiquement, la mondialisation subordonne la puissance politique démocratique à la puissance économique indiscutable. Cette corrosion de démocratie minimise la capacité des citoyens de former les structures économiques, les politiques, et les styles de vie qui établiront la justice sociale et aboutiront à des relations Terre-humaines régénératrices (39)
2 Le Washington Post a rapporté dans un article au mois de Mars 1998, que le plus riche de la population des USA possède plus de richesse que 90% de la totalité des richesses de la population totale. Selon un rapport de USA Today publié en 1997, 25% des familles américaines au bas de l’échelle ont eu 9% de chute de leur revenu entre 1979 et 1995, à l’opposé de 25% des familles qui jouissent d’une augmentation de 26% de leur revenu dans la période. En 1995, le revenu des 5% des riches familles était 5,7 fois plus que celui des 20% des familles qui sont au bas de l’échelle. Les statistiques officielles publiées en 1997 montrent que principaux 20% familles des USA se sont partagées 49% du revenu total du pays en 1996, à l’opposé de la chute 1,8% dans le niveau du revenu 20% des familles au bas de l’échelle. Le niveau actuel des principaux 20% de la population est neuf fois supérieur au nombre des 20% de ceux qui sont au bas de l’échelle, et très élevé de façon significative de plus de 3,5 en 1979. En outre, quelques 75% d’ouvriers américains gagnent moins aujourd’hui qu’en 1979. 16% de la population des USA a vécu en dessous de la marge de pauvreté en 1974, avec leurs nombres atteignant 19% de 1997. » (Leslie Sklair 2002:53)
3 Selon Sklair, cette « classe » est transnationale dans au moins cinq domaines : Ces membres ont tendance à partager les intérêts économiques aussi bien mondiaux que locaux ; ils cherchent à exercer le contrôle économique dans les lieux de travail, le contrôle politique dans la politique domestique et internationale, et le contrôle de la culture-idéologie de la vie quotidienne ; ils ont tendance à avoir des perspectives plutôt globales que locales sur différents problèmes ; ils tendent à être les gens de plusieurs pays, qui, de plus en plus commencent à se considérer à la comme des citoyens du monde et de leurs lieux de naissance, et ils ont aussi tendance à partager les mêmes styles de vie, en particulier les modèles de la consommation luxueuse de biens matériels et des services » (2002:28-29).
4 L’adaptation de l’église avec la société de consommation est évidente dans plusieurs d’églises par le fait, très souvent sous l’influence de la culture chrétienne nord-américaine, elle met l’accent sur la croissance numérale. Malheureusement, ma critique de ce type de christianisme faite il y a beaucoup d’années demeure toujours vraie : « Tout comme le Catholicisme Romain traditionnel [en Amérique latine], elle s’est adaptée au monde dans son ardeur d’atteindre la majorité de sorte qu’il y ait plus de Chrétiens. En conséquence l’église, loin d’être un facteur pour la transformation de la société, est simplement devenue une autre réflexion de la société et (au pire) un autre instrument que la société emploie pour conditionner les gens aux valeurs matérialistes » (Padilla 1976:215).
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