1. Leadership éthique : Quoi et pourquoi ?
Il y a un peu plus d’un milliard de personnes qui vivent dans la pauvreté extrême et beaucoup d’entre elles vont à l’église.
Les organisations internationales dépensent beaucoup de ressources pour réagir à cette pauvreté de façon pratique et en utilisant un langage technique. Pendant tout ce temps, les chrétiens prêchent et pratiquent leur foi pour apporter une réponse spirituelle et matérielle à la situation des personnes les plus pauvres du monde.
La plupart d’entre nous savons ce que nous pouvons faire pour les pauvres mais les discussions sur la bonne gouvernance nous laissent indifférents ou avec un sentiment d’impuissance. Les débats sur la corruption sont techniques, dangereux et semblent bien éloignés de nos projets actuels pour construire une autre clinique pour les malades ou établir le planning de prédication au sein de l’église locale.
Mais les personnes qui savent que la corruption est aussi dangereuse qu’un bloc de béton sur une autoroute souhaitent aussi ardemment que l’Église s’implique pour la démanteler. Et le fait que la gouvernance est complexe, bien enracinée dans le monde des affaires, dans nos systèmes politiques et difficile à définir, ne facilite pas les choses. Fondamentalement, la bonne gouvernance concerne autant les « moyens justes » que les « fins justes ». Il s’agit de « la façon selon laquelle le pouvoir et l’autorité publics sont modelés et utilisés pour gérer et contrôler les ressources de la société ». Une société juste est « la collaboration entre le leadership éthique, le plaidoyer éthique et l’institutionnalisation des valeurs éthiques ». En d’autres termes, c’est l’affaire de tous.
2. La corruption tue
La corruption n’est pas seulement une affaire d’éthique pervertie : elle est directement liée à la pauvreté et tue corps, âme et esprit.
Il coûterait approximativement 210 milliards de dollars américains par an au niveau mondial pour tenir notre promesse internationale de réduire de moitié la pauvreté extrême en 2015. Cependant, chaque année, les pauvres perdent jusqu’à mille milliards de dollars américains à cause de la malhonnêteté, délibérée ou indirecte. Cela signifie que nos efforts les plus nobles sont dévalués par la malhonnêteté que nous faisons mine d’ignorer. Le fait d’ignorer la corruption ressemble au fait d’investir votre argent dans une économie en hyperinflation.C’est un problème qui concerne les banquiers, mais c’est aussi un sujet de débat pour les croyants. Le fait d’ignorer la corruption ressemble au fait d’investir votre argent dans une économie en hyperinflation.
En 2010, la Banque Mondiale a mis en relief les graves effets de la corruption silencieuse sur les plus pauvres : pots-de-vin, réglementations insuffisantes et services de mauvaise qualité. Dans les pays en voie de développement, la corruption a pour conséquence un accès à l’eau courante qui est 30% plus cher que dans les pays riches. Les patientes des maternités du Bangalore paient environ 22 dollars en pots-de-vin pour bénéficier d’un traitement adéquat. Dans son livre-choc intitulé Dead Aid, l’économiste africaine, Dambisa Moyo, a rassemblé les éléments de preuve qui démontrent la corrélation qui existe entre le niveau de corruption d’un pays et son PIB.
L’ONG chrétienne Tearfund a effectué une enquête novatrice sur la corruption dans laquelle elle a compilé les récits, non pas de professionnels du développement mais de personnes vivant de personnes pauvres, avec lesquelles cette organisation travaille au Pérou, au Cambodge et en Zambie. Le thème central est sans détour : les pots-de-vin et la corruption arrachent le pain de la bouche des pauvres et les dépouillent de leur dignité.
Et pourtant, l’appel à l’intégrité s’applique autant au peuple de l’hémisphère Nord qu’il concerne ceux des pays en voie de développement. En 1995, le monde financier a été secoué quand un seul investisseur du nom de Nick Leeson a perdu 1,3 milliards de dollars américains de la Barings Bank ; l’une des plus anciennes banques commerciales du monde. Depuis deux ans, la vie politique en Grande-Bretagne est ébranlée par les demandes de remboursement liés aux dépenses des députés et par le piratage des lignes téléphoniques qui a secoué les agences de presse de Rupert Murdoch. Ce scandale a provoqué la démission de deux officiers de police les plus gradés du Metropolitain Police Service.
Une conversation mondiale sur le leadership éthique et l’intégrité nous aidera à changer de discours sur la corruption en reconnaissant que très peu de pays sont épargnés par ce problème.
3. Le projet de Dieu contre la mauvaise gestion
Le plus grand obstacle à une réponse chrétienne et prophétique n’est pas la complexité affirmée du problème. C’est plutôt la lenteur avec laquelle nous acceptons l’idée que Dieu se préoccupe vraiment « des balances et des poids justes ». La lutte pour l’intégrité dépasse largement le cadre d’une idée politique. Il s’agit de la vertu qui élève une nation. C’est précisément ce qui fait des messages d’Amos, de Michée et d’Osée ainsi que celui des Grands Prophètes puissant. Selon CB Samuel, une partie du problème est une vision chrétienne du monde peu ambitieuse et influencée par « une vision dans laquelle l’on insiste excessivement sur l’aspect matérialiste du progrès ». Cette perspective est un échec en ce qu’elle n’intègre pas la lutte pour l’intégrité comme faisant partie du projet de Dieu pour le monde.
Les chrétiens du 21e siècle ont une formidable opportunité : celle de prendre parti pour Jésus dans l’intérêt des pauvres. Et c’est ce que nous devrions faire parce que nous suivons Jésus qui s’est entièrement « plongé dans les réalités, à la fois des pauvres, des captifs, des aveugles, des opprimés. »
4. Le pouvoir de prévenir
Au niveau mondial, l’Église est une entité importante. En 2005, 2,1 milliards de personnes (soit un tiers de la population du monde) se disaient chrétiennes. D’ici 2050, ce chiffre pourrait atteindre 3 milliards et même si les États-Unis restent la nation chrétienne la plus influente, ils seront suivis de près par le Brésil, le Mexique, les Philippines, le Nigéria, le Congo, l’Éthiopie et la Chine.
Ces chiffres font clairement ressortir une chose : si l’Église veut faire une réelle différence, elle le peut. Autant de sel et de lumière dans une population de 8 milliards de personnes devrait affaiblir le mal de la corruption qui détruit des personnes créées à l’image de Dieu. Une réponse chrétienne mondiale à la corruption constituerait une métaphore de la purification, que le monde pourrait vraiment comprendre.
Beaucoup de voix chrétienne s’élèvent sur cette question cruciale. Mais par rapport au défi qui se présente devant nous, et aux vues de la capacité de l’Église à répondre, nous avons encore du chemin à parcourir.
Comme le dit Salil Shetty : « les personnes dans les églises évangéliques qui sont particulièrement engagées sur ces questions savent que si les ressources publiques sont gérées de manière transparente et contrôlé, rien ne peut empêcher le monde d’atteindre les OMD en 2015. »
Trois terrains d’intervention
Les piliers de la corruption doivent être démantelés. Nous pouvons renverser les murs mais il est de loin préférable de renverser les piliers. Et les chantres/défenseurs de la liberté savent que, dans des situations compliquées, nous devons être sélectifs et choisir les piliers que nous voulons ébranler.
- L’Église
Comme le dit la Bible, le jugement commence par la maison de Dieu. Notre point de départ devrait être un examen critique de nos attitudes vis-à-vis de la justice et de la bonne gouvernance. À cet égard, il faut se souvenir que la première controverse au sein de l’Église ne concernait pas un débat christologique mais une injustice que l’Église a rapidement résolue. Franchement, l’intégrité est un défi pour l’Église avant même que nous ne parlions à qui que ce soit d’autre. Une chrétienne travaillant à la Banque Mondiale souhaitait que cette question soit à l’ordre du jour dans son église parce qu’elle disait que son pasteur changeait son avion personnel chaque année mais qu’il ne parlait jamais de justice !
Seule une Église transformée est capable d’être un agent de transformation. La lumière brille mieux quand nos fenêtres sont propres.
L’intégrité est une question épineuse pour les personnes de toutes les confessions, et le constat selon lequel les pays très religieux sont moins bien classés sur l’index de corruption (Transparence Internationale) nous montre que les pays à fortes communautés chrétiennes ne sont pas en reste. Il est triste de constater que le coût de la criminalité ecclésiastique a explosé d’une estimation de 300.000 dollars en 1900 à 32 milliards en 2010 avec pour prévision que ce chiffre grimpera à 60 milliards d’ici 2025. Des constatations de ce genre bâillonnent l’Évangile.
La bonne nouvelle est que dans des domaines aussi vastes que l’éducation, la santé, la lutte contre l’esclavage, les trafics et pour les droits de l’homme, des chrétiens se sont illustrés à travers l’histoire dans la défense des pauvres. En Inde, le National United Christian Forum (Forum National des Chrétiens Unis) a publié une déclaration pour s’opposer à la corruption. À la suite de la déclaration de Lausanne en 2010, un groupe de chrétiens en Inde à aider à la tenue d’une conférence sur la corruption le 2 Septembre 2011. Comme le font remarquer Batchelor et Osei-Mensah, beaucoup de chrétiens africains s’attellent sérieusement à répondre au défi de la corruption.
Nous sommes particulièrement encouragés de noter que l’Engagement visionnaire du Cap a identifié la corruption comme un aspect important du de la vie d’un disciple de Christ :
« La corruption est condamnée par la Bible. Elle mine le développement économique, empêche une prise de décision juste et détruit la cohésion sociale. Aucune nation n’est exempte de corruption. Nous invitons les chrétiens qui sont dans le monde du travail, surtout les jeunes entrepreneurs, à réfléchir de façon créative à la meilleure façon de prendre position contre ce fléau. »
Au-delà de ces initiatives, les chrétiens sont impliqués dans des organisations internationales comme les Nations Unies et Transparence Internationale.
- Le monde des affaires
L’attitude des chrétiens à l’égard du monde du travail a connu une saine révolution. De plus en plus, les chrétiens pensent au monde du travail comme à un cadre pour témoigner de leur foi et influencer le monde. Mais il y a eu très peu de réflexion sur la façon dont les valeurs du Royaume, d’intégrité et de transparence, peuvent être traduites dans le monde des affaires.
L’expansion des entreprises a pour une grande part permis d’émanciper des millions de gens dans les pays appelés les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Nous devons nous réjouir de ces succès. Cependant, même les bonnes nouvelles peuvent devenir un écran de fumée servant à cacher de mauvaises nouvelles. La création de richesses ne peut pas remplacer les « poids justes », la justice sociale/l’équité, parce que dans toutes nos nations riches, l’écart entre riches et pauvres s’élargit.
Les entreprises, les agences transnationales et les corporations portent une lourde responsabilité dans les pratiques commerciales douteuses qui continuent d’opprimer les plus pauvres. De la même façon que des entreprises prospérèrent autrefois au détriment des esclaves africains, certaines entreprises modernes profitent de la souffrance des plus démunis.
Il existe une idée fausse et répandue selon laquelle la corruption se résume à de mauvais gouvernements qui pillent leurs nations. Mais en réalité, les flux financiers délibérément illicites constituent 3 à 5 % des pertes mondiales qui équivalent chaque année entre 30 et 50 milliards de dollars. La moitié de ces montants résulte de flux d’argent illicites provenant de biens et de matières premières dont les prix sont sous-estimés.
Comme la crise financière actuelle nous le rappelle, la création de richesse sans justice touche davantage encore les plus pauvres.
Nous n’avons pas l’intention de diaboliser les activités économiques. Au contraire, nous nous proposons de faire un appel prophétique aussi puissant et libérateur que ceux des prophètes et de Jésus lui-même. La Bible est remplie de références relatives au commerce malhonnête et la préoccupation de Dieu pour les « poids justes » est récurrente dans la Bible. Comme la crise financière actuelle nous le rappelle, la création de richesse sans justice touche davantage encore les plus pauvres.
- Le monde politique
Proclamer la bonté de Dieu fait partie intégrante de notre mission dans le monde. C’est le seul moyen pour nos contemporains de comprendre qu’un Dieu juste peut être bon dans le monde qu’il a lui-même créé. Et c’est la seule chose qui donne un sens au proverbe biblique « Le poids et la balance justes sont à l’Éternel ; Tous les poids du sac sont son ouvrage » (Proverbes 16.11)
En tant que chrétiens, nous ne devrions pas être sélectifs dans notre plaidoyer. Nous avions raison de faire du lobbying sur la moralité, la famille et l’éducation de nos enfants. Nous devons aussi élever nos voix pour les pauvres.
Et nous n’avons pas de raison de croire que le partenariat avec les gouvernements en vue du bien commun, se situe à contre -courant des Écritures. La réforme de Néhémie et la restauration de Jérusalem auraient été impossibles sans l’aide d’un roi païen. Tout chrétien qui prend la Bible au sérieux est obligé de prendre le plaidoyer biblique au sérieux. Dieu ne nous a pas donnés pour mandat d’être muets. De même, nous ne devons pas nous contenter de prier pour les chrétiens au sein des gouvernements ; il nous faut aussi des dirigeants chrétiens qui ont la passion et les compétences pour modeler nos politiques. Pour reprendre les mots de Goodwill Shana « les hommes politiques chrétiens sont surestimés si tout ce qu’ils ont à offrir est l’intégrité et l’éthique. Ils doivent permettre la socialisation et l’institutionnalisation des valeurs éthiques ainsi que créer les mécanismes institutionnels favorisant de bonnes prestations de service ». C’est exactement ce qu’ont fait Joseph, Esther et Daniel.
5. Ne pas écarter Dieu des questions de bonne gouvernance
Le besoin de bonne gouvernance est présent partout et dans toutes les sociétés. Et c’est précisément l’objectif de la mission de l’Église en tant que sel et lumière de la terre. Ce type de témoignage chrétien ne devra jamais remplacer la proclamation puissante du salut et permettre à nos œuvres d’occulter l’œuvre de la croix. Mais ce témoignage dénoncera un type de péché qui écrase les pauvres. Et les conversations et actions au niveau mondial, national et local – aussi petites soient-elles – sont une réponse vitale et missionnaire à la douleur des plus démunis du monde. Pour relever le défi de la corruption, il faut aller au-delà des discours : la confrontation au problème de la corruption doit amplifier nos bonnes actions en limitant les comportements malhonnêtes qui transforment les faibles en proie.
Qui dit bonne gouvernance dit aussi bonne nouvelle pour les pauvres. Pasteur Joël Edwards – septembre 2011
Les hommes politiques chrétiens sont surestimés si tout ce qu’ils ont à offrir est l’intégrité et l’éthique. Ils doivent créer les mécanismes institutionnels favorisant de bonnes prestations de service.
Cette communication a bénéficié du soutien, de remarques et de contributions de :
Dr Dewi Hughes Amanda Jackson
Dr Denison Jayasooria CB Samuel
Dr Goodwill Shana
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