Auteur : Gary A. Haugen
Alors que l’Église de Jésus Christ entre dans son troisième millénaire, beaucoup parmi ceux qui ont conduit l’Église à prêcher l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre et à pourvoir aux besoins des démunis perçoivent que le Saint Esprit les conduit à franchir une autre limite dans le ministère. L’Église perçoit que les personnes qui souffrent n’ont pas seulement besoin de la Parole et de pain, mais qu’elles ont tout autant besoin d’une voix.
Beaucoup appellent « ministère de plaidoyer » ce travail consistant à prêter sa voix à celui qui n’en a pas. Le plaidoyer est une réponse à l’exhortation biblique de Proverbes 31.8-9.
Ouvre ta bouche pour le muet,
Pour la cause de tous les délaissés.
Ouvre ta bouche, juge avec justice
Et défend la cause du malheureux et du pauvre.
En effet, l’Esprit invite l’Église dans une nouvelle ère de plaidoyer qui est aussi importante que le mouvement missionnaire mondial des 150 dernières années et le mouvement d’aide et de développement des 50 dernières années. Le besoin n’est pas moins grand et le mandat biblique n’est pas moins fondamental.
En ce moment historique, notre plus grand besoin est celui d’une vision claire sur cet appel au plaidoyer. La réponse de l’Église à l’appel au plaidoyer est menacée par deux obstacles à l’obéissance opposés – une ignorance paralysante et une subtilité paralysante. D’une part, de nombreux membres du corps du Christ ignorent l’appel. Nous ne voyons pas le besoin ou nous ne savons pas ce qui est exigé de nous. Alors que Dieu nous dit – tout simplement : Aimez-moi. Aimez votre prochain. Pratiquez la justice. Aimez la miséricorde. Marchez humblement. D’autre part, nous sommes tentés d’être paralysés par la subtilité, menacés par une approche du plaidoyer qui devient raffinée sur le plan intellectuel, éloignée de la pratique et bien trop subtile de sorte que cela aliène, plonge dans la confusion et immobilise une grande partie du corps du Christ. Nous devons demander à Dieu de nous aider à faire comprendre à la communauté chrétienne que le travail de plaidoyer est un besoin extrêmement pressant, entièrement biblique et éminemment faisable.
Trouver la lumière par l’histoire de notre prochain
L’appel biblique au plaidoyer ressort avec une simplicité sans détour du commandement de Christ d’aimer notre prochain. Jésus a dit que toute la loi et les prophètes sont résumés dans le commandement d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain comme nous-même (Matthieu 22.35-40). Le scribe de Luc 10 était capable de répéter la bonne réponse à Jésus. Mais, se rendant compte, comme c’est notre cas à tous, qu’il était plus facile de réciter la bonne réponse que d’y obéir, le scribe chercha un refuge en suggérant que toute l’affaire était plus compliquée que ce que Jésus laissait entendre. Sans se laisser décourager, Jésus remit les choses en place avec une clarté implacable en racontant une histoire toute simple sur un homme battu, gisant sur la route de Jéricho (Luc 10.30-37). Jésus demanda alors ce que ferait une personne aimant l’homme blessé dans une situation comme celle-là.
Par la simplicité de son histoire, Jésus balaie les tentatives subtiles de diversions. Il nous met face à des faits clairs concernant un individu dans le besoin et demande : qu’est-ce que l’amour exige ? De la même façon, l’appel biblique au plaidoyer ressort avec une singulière clarté d’histoires très simples à propos de notre prochain dans le besoin – des histoires qui nous forcent à demander : qu’est-ce que l’amour exige ?
Je voudrais proposer l’histoire de cinq « prochains » un peu partout dans le monde et demander au corps de Christ : qu’est-ce que l’amour exige ?
Joyti est une fille de 14 ans, d’une ville rurale indienne qui a été kidnappée et droguée par quatre femmes qui l’ont vendue à un bordel de Bombay. Elle a été enfermée dans une cellule souterraine et battue brutalement avec des barres de métal, un tuyau en plastique et des fils électriques, jusqu’à ce qu’elle accepte d’avoir des relations sexuelles avec les clients. Maintenant elle doit travailler sept jours par semaine, et s’occuper de 20 à 40 clients par jour.
Osner est un homme de 45 ans, qui vit en Haïti. Il a été arrêté de façon illégale et jeté en prison quand le maire du coin a voulu s’accaparer une partie de sa propriété pour son usage personnel. Selon la loi haïtienne, la détention est complètement illégale et cinq arrêts différents du tribunal ont rendu des décisions selon lesquelles il devait être libéré, mais les autorités de la prison refusent de le relâcher, parce qu’elles ont des relations politiques avec le maire.
Shama est une fille de 10 ans qui a été vendue comme esclave à cause d’une dette familiale de 35 $ qui avait été contractée pour payer le traitement médical de sa mère. Suite à cela, Shama a été forcée ces trois dernières années de travailler six jours par semaine, entre 12 et 14 heures par jour à rouler des cigarettes à la main. Elle doit rouler 2000 cigarettes par jour, sans quoi elle est battue. Son esclavage est complètement illégal d’après la loi indienne, mais les autorités locales n’appliquent pas la loi.
Domingo est un vieux propriétaire paysan au Honduras qui a été touché par balle au visage et à la jambe lorsque la police a illégalement ouvert le feu sur lui et sur d’autres Indiens Lenca, alors qu’ils manifestaient dans la capitale pour obtenir de meilleurs services du gouvernement dans leur région reculée. Le Président du Honduras a publié une promesse d’après laquelle tous ceux qui ont été blessés recevraient une compensation, mais environ un an est passé et l’argent n’est jamais arrivé. Maintenant Domingo a perdu sa maison et sa terre parce qu’il est handicapé et il ne peut pas travailler pour payer ce qu’il doit.
Catherine est une fille de 13 ans qui vit dans un bidonville de Manille et qui ne peut pas aller à l’école parce que sa tante la force à travailler comme domestique. Pire, la tante de Catherine permet à certains de ses amis de vivre à la maison et l’un d’entre eux a violé Catherine quand tout le monde était sorti. Catherine a réussi à faire enregistrer une plainte à la police, mais le violeur est le fils d’un policier et cela fait deux ans qu’ils ignorent l’ordre d’arrêter cet homme.
Repérer les besoins de notre prochain
Si ceux qui suivent Jésus doivent répondre dans l’amour à chaque personne, la première tâche est de repérer la nature de leurs besoins. Aux premiers temps du mouvement missionnaire moderne, les évangéliques ont mis l’accent sur la nécessité d’agir pour ceux qui avaient besoin d’entendre l’Évangile. On a fait des progrès héroïques dans la proclamation verbale de l’Évangile sur les 150 dernières années. Et il est toujours vrai aujourd’hui que nous n’aimons certainement pas notre prochain comme il faut si nous ne lui expliquons pas la vérité de l’Évangile.
Cependant, le mouvement missionnaire évangélique a gravement erré dans la mesure où il a manqué de répondre avec amour aux autres besoins de son prochain. Dès 1947, le théologien Carl F H Henry a remis en cause une évangélisation faite seulement de mots, en insistant sur le fait qu’ « il n’y a aucune place pour un Évangile qui est indifférent aux besoins de tout l’homme ou de l’homme dans sa globalité. » 1
L’effort consacré par l’Église missionnaire afin de répondre aux besoins physiques et sociaux était minuscule en proportion avec la clarté du mandat biblique à ce sujet et de l’importance immense des besoins. C’était une mauvaise chose et cela a retardé l’avancée de l’Évangile. Cela a commencé à changer dans la dernière partie du vingtième siècle. Une nouvelle génération de dirigeants évangéliques a ramené l’Église à une vision biblique de l’évangélisation qui pourvoyait aux besoins de la personne tout entière. Le mouvement évangélique a adopté l’idée d’un témoignage dans lequel la proclamation verbale de l’Évangile et le souci des besoins physiques et sociaux de notre prochain font « tous deux partie de notre devoir de chrétien » selon les termes de la Déclaration de Lausanne de 1974. Au cours de la dernière génération, la communauté évangélique a développé des potentialités énormes lui permettant de répondre à ceux qui souffrent de privations – ceux qui souffrent par manque de nourriture ou d’eau potable, de soin médicaux, d’un toit, d’écoles, etc. En 2000, rien qu’aux États-Unis, les organismes de secours et de développement évangéliques ont dépensé plus d’un milliard de dollars pour répondre aux besoins de ceux qui souffrent de privations dans notre monde2.
Mais c’est là que l’ancienne ère se termine et que la nouvelle ère de plaidoyer pour la justice commence. Dans nos cinq histoires simples, nous découvrons une catégorie différente de personnes qui souffrent dans notre monde. Les ministères traditionnels de la communauté évangélique ne répondent pas à leurs besoins. Aujourd’hui, ils ne souffrent pas parce qu’ils n’ont pas entendu l’Évangile ou parce qu’il n’y a pas d’Église parmi leur peuple. Et par conséquent, nous ne leur montrons pas un amour qui ait un sens dans leur situation en leur apportant simplement les bienfaits de l’évangélisation verbale. Ils ne souffrent pas non plus de privations. Aucun d’entre eux ne souffre parce qu’ils n’ont pas de nourriture, d’abri ou de soins médicaux. Leurs besoins entrent dans une autre catégorie. Ils souffrent parce qu’ils ont un oppresseur. Ils souffrent parce qu’il y a des brutes qui profitent d’eux. Ils sont victimes d’injustices. Et, pour la plupart, les ministères existant de la communauté évangélique n’apportent pas d’aide significative là où ils en ont besoin.
Voici donc, le vaste et nouveau territoire qui s’ouvre pour le plaidoyer en faveur de la justice. Et il serait difficile de trouver une autre zone du ministère où il y ait une telle disparité entre la magnitude des besoins, la clarté du mandat biblique et l’insuffisance du ministère actuel.
La magnitude des besoins
Clarifions en premier lieu la nature et la magnitude des besoins. Pour cela, il est important de renforcer la distinction entre ceux qui souffrent de privations et ceux qui souffrent d’oppression. Nous répondons aux besoins de ceux qui souffrent de privations – le manque d’accès aux biens matériels – en fournissant des biens matériels ou des services. Mais ceux qui souffrent de l’oppression souffrent parce qu’ils sont victimes du péché d’injustice. La Bible définit cela comme l’abus du pouvoir. Il s’agit de prendre aux autres ce que Dieu leur a donné – leur vie, leur liberté, le fruit de leur amour et le fruit de leur travail. Nous ne pouvons pas répondre à ce besoin en leur fournissant simplement des biens matériels. Pour montrer un amour authentique à quelqu’un qui est victime d’oppression nous devons l’arracher à son oppresseur, forcer celui qui perpétue l’injustice à rendre des comptes, chercher la restauration de la victime et empêcher l’abus de se reproduire.
Si vous aimez Joyti, vous devez essayer de la faire sortir du bordel. Si vous aimez Osner, vous devez chercher à le faire sortir de prison. Si vous aimez Shama, vous devez la délivrer de l’esclavage. Si vous aimez Domingo ou Catherine, vous devez chercher à ce qu’ils obtiennent justice. Voilà ce que l’amour requiert. Cependant, ce n’est pas ce que la plupart des missions ou des agences de développement évangéliques font. Certes, il n’est peut-être pas approprié pour chaque organisation d’endosser ce rôle, mais nous avons un mandat biblique clair qui suggère que quelqu’un dans le corps du Christ devrait certainement s’occuper de cela.
Il s’agit donc d’un besoin spécifique – différent de celui de ceux qui souffrent de ne pas entendre l’Evangile ou qui souffrent de privations. Mais quelle est la magnitude des besoins ? Combien de personnes dans notre monde souffrent à cause du pouvoir oppressif d’autres personnes ?
Il y a au moins un million d’enfants entraînés dans la prostitution forcée chaque année. Dans des pays comme Haïti et le Honduras, 85% de ceux qui sont en prison n’ont jamais été inculpés ou reconnus coupables pour un crime. Rien qu’en Inde, il y a au moins dix millions d’enfants qui sont illégalement réduits en esclavage. Des milliers de femmes et d’enfants pauvres dans les pays en développement sont victimes d’abus sexuels chaque année sans que qui que ce soit fasse d’enquête sur le crime.
Ajoutez à ces statistiques des événements comme le génocide rwandais en 1994 dans lequel 800 000 personnes ont été assassinées en huit semaines. Comment, à supposer qu’ils l’aient fait, les chrétiens du monde ont-ils manifesté l’amour du Christ à ces prochains-là ? En tant que directeur de l’enquête des Nations Unies sur le génocide au Rwanda, j’ai fait le tri parmi les cadavres de milliers de femmes et d’enfants Tutsis. Au moment où ils se rassemblaient, terrorisés, dans les Eglises du Rwanda pour se protéger, ils n’avaient pas besoin de Bibles, de sermons, de nourriture, de médicaments ou de matériel domestique. Ils avaient besoin d’une voix. Ils avaient besoin d’une voix qui ferait bouger le monde pour retenir leurs voisins Hutus armés de machettes. Ils avaient besoin d’une intervention de sécurité internationale qui était faisable, comme une analyse militaire subséquente le révèle sans l’ombre d’un doute.
Les masses de personnes souffrant de l’oppression et des abus sont aussi importantes, si ce n’est plus, que toutes les catégories de besoins dans le monde. En 1996, la Mission Internationale pour la Justice a mené une étude parmi 70 missions et organisations évangéliques de développement, représentant des milliers de travailleurs du monde entier. Nous leur avons demandé si elles avaient des personnes qui travaillaient dans des communautés où des gens souffraient d’injustice ou d’abus dans des circonstances faisant que l’on ne pouvait pas se fier aux autorités locales pour un secours. Toutes ces organisations ont répondu positivement. Les catégories les plus communes d’injustice étaient notamment :
- corruption de la justice publique
- abus policiers ou militaires
- prostitution enfantine
- détention ou disparition sans accusation ni procès
- discrimination cautionnée par l’État ou abus subis par les minorités ethniques
- intimidation politiquement organisée
- torture cautionnée par l’État
- travail abusif des enfants
- confiscation abusive ou extorsion de terrain
- migration forcée
- prostitution forcée d’adultes ou d’adolescents
- extorsion ou retenu des salaires
- violence raciale organisée
- persécution religieuse cautionnée par l’État
- meurtre des enfants des rues
- pornographie enfantine
- terrorisme d’État, de rebelles ou de paramilitaires
- génocide
Au cours de notre ministère chrétien partout dans le monde, nous avons appris beaucoup de choses sur les besoins de notre prochain, au niveau mondial – en particulier sur les besoins des pauvres. Ils ont faim, ils tombent malades, ils n’ont pas d’abri. Mais nous avons aussi appris qu’ils souffrent d’abus de la part des autres.
La Banque Mondiale a récemment publié une étude approfondie portant sur les expériences des pauvres. Ce travail en plusieurs volumes s’intitule La voix des pauvres et a été bâti à partir d’entretiens avec des dizaines de milliers de personnes pauvres partout dans le monde. Les auteurs soulignent à maintes reprises le rôle de premier plan que jouent l’oppression et les abus dans la vie des pauvres. « Peut-être que l’une des révélations les plus frappantes de cette étude est de voir à quel point auquel la police et les systèmes judiciaires officiels sont du côté des riches, persécutent les pauvres et mettent les pauvres dans une situation d’insécurité, de peur et de pauvreté encore plus grande… Des femmes rapportent qu’elles se sentent en danger d’être abusée sexuellement par la police et de jeunes hommes disent qu’ils ont été passés à tabac par la police sans motif. »3
La clarté du mandat biblique
On peut difficilement douter du nombre stupéfiant de personnes qui souffrent de l’injustice et qui ont désespérément besoin de plaidoyer. De même, on ne peut douter de la clarté du mandat biblique qui nous enjoint de répondre à ce besoin. Il devrait être suffisant de citer simplement le commandement de Jésus d’aimer notre prochain et de laisser la logique de la « règle d’or » nous diriger dans la manière dont nous répondrons aux besoins de quelqu’un qui a été violé, torturé, emprisonné, expulsé de sa terre ou battu. Si cela nous arrivait, nous voudrions que quelqu’un vienne à notre secours. C’est la logique de l’auteur de l’épître aux Hébreux :
Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez en prison avec eux, et de ceux qui sont maltraités comme étant, vous aussi, dans un corps. (Hébreux 13.3, version Segond révisé)
Si le plus grand commandement de Jésus ne suffisait pas, nous avons la parole du Seigneur nous appelant à « rechercher la justice, secourir l’opprimé, défendre l’orphelin et plaider pour la veuve. » Les prophètes de l’Ancien Testament établissent clairement que lorsque nous ne recherchons pas la justice, Dieu méprise nos sacrifices et nos prières (Ésaïe 1), notre jeûne (Ésaïe 58) et nos fêtes religieuses (Amos 5). Jésus lui-même a repris les dirigeants religieux de son temps pour avoir négligé « ce qu’il y a de plus important dans la loi : le droit, la miséricorde et la fidélité » (Matthieu 23.23).
Nous pourrions faire le tour de la Bible pour rassembler les éléments prouvant la passion de Dieu pour la justice et son appel envers son peuple de libérer le « faible et le pauvre », de les arracher « à la main des méchants » (Psaume 82.4). Etant donnée la nature si vaste et la clarté du mandat biblique, on s’attendrait à un déploiement considérable du peuple de Dieu pour répondre aux besoins de ceux qui sont victimes d’abus et d’oppression. Si seulement il en était ainsi.
L’insuffisance du ministère actuel
La réalité, c’est que le niveau d’engagement pour « rechercher la justice, secourir l’opprimé, défendre l’orphelin et plaider pour la veuve » est faible, comparé aux besoins et au mandat biblique. Si l’on se contente de passer en revue les catégories d’abus mentionnés ci-dessus dans le survol de la Mission Internationale pour la Justice, on aurait beaucoup de mal à trouver une mission ou une organisation évangélique de développement dont l’une de ces catégories soit la priorité dans ses actions. La Mission Internationale pour la Justice s’est développée à partir d’une conclusion de cette étude selon laquelle aucune des organisations ne se sentait équipée pour répondre à ces problèmes, ni ne connaissait d’organisation chrétienne vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. Il y avait quelques signes qui montraient que les organisations sentaient qu’elles pourraient obtenir un peu d’aide pour les questions de persécution religieuse, mais cela a suscité un certain malaise à l’idée que l’on percevrait les choses de la manière suivante : la seule occasion pour laquelle les chrétiens s’engagent dans les problèmes de justice, c’est quand ils sont eux-mêmes les victimes. Considérez de nouveau les besoins de Joyti, d’Osner, de Shama, de Domingo, et de Catherine. Quel pourcentage des ressources de l’Eglise est-il employé pour secourir les victimes de la prostitution forcée, de détentions illégales, de tortures, d’abus policiers, d’esclavage d’enfant, ou d’autres situations d’abus que ces histoires représentent ?
Ces dernières années, un certain nombre de ministères chrétiens – en particulier dans le champ du développement – ont commencé à se rendre compte des problèmes de l’oppression et à s’engager dans des programmes de plaidoyer pour parler de problèmes comme la dette du Tiers-Monde, les conflits liés aux diamants, le trafic du sexe, les enfants soldats et le travail des enfants. Ces efforts sont des développements prometteurs qui montrent que la vision évangélique est en train de mûrir.
Cependant, les organisations impliquées dans ce nouvel engagement de plaidoyer ont eu tendance à agir au niveau assez élevé et généralement peu accessible du plaidoyer pour des prises de position publiques. Ils se sont attaqués aux problèmes à un niveau élevé et ont cherché à mobiliser les élites politiques afin qu’elles recherchent des solutions politiques structurelles. Il y a beaucoup de justesse dans cette approche et même beaucoup à faire à ce niveau. Le corps du Christ a commencé dans le champ du plaidoyer par faire ce qu’il sait faire – recherche de prises de position publiques, campagnes de sensibilisation et lobbying.
Néanmoins, il y a d’importantes différences entre un ministère en faveur des victimes individuelles de l’oppression et un plaidoyer centré sur de grandes questions. Si nous considérons la situation critique de Joyti ou celle d’Osner, de Shama, de Domingo ou de Catherine, et que nous nous demandons comment nous pouvons les délivrer de leurs souffrances de manière efficace, nous ne choisirons pas une approche de plaidoyer centré sur de grandes questions (recherche de prises de position publiques, campagnes de sensibilisation et lobbying). Nous serons plutôt conduits à adopter ce que nous pourrions appeler du plaidoyer au cas par cas – l’ensemble complexe de tâches auxquelles on peut s’atteler pour apporter secours et justice à une victime d’abus et d’oppression.
A titre d’exemples, voyons quelles méthodes de plaidoyer au cas par cas la Mission Internationale pour la Justice a mises en œuvre dans chacune de nos histoires.
Une enquête criminelle a eu lieu pour infiltrer le bordel dans lequel Joyti était retenue. Un système de vidéo-surveillance a été utilisé pour constituer des preuves indiquant où elle était retenue et par qui. Des contacts sûrs dans la police ont été mobilisés pour faire une descente dans le bordel et pour relâcher Joyti. Joyti a été confiée à un centre chrétien pour prendre soin d’elle, le chef du bordel a été arrêté et se trouve sous le coup de poursuites.
Des avocats américains et haïtiens ont été utilisés dans le cas d’Osner afin d’obtenir des preuves légales du fait que sa détention était illégale. On les a présentées au Département d’État et au Congrès des États-Unis afin de s’assurer que les autorités haïtiennes peu coopératives se chargent de le relâcher.
En ce qui concerne l’esclavage de Shama, une enquête professionnelle a été menée et des preuves réunies, mettant en lumière un réseau de plus de 400 autres esclaves. Des avocats sont intervenus avec le magistrat local, par le moyen de relations locales pour obtenir la libération de tous les enfants esclaves et l’arrestation de tous les prêteurs d’argent. Par la suite, Shama et les autres enfants ont eu l’occasion d’aller à l’école.
Dans le cas de Domingo, un avocat du Honduras a été engagé pour préparer un dossier de plaidoyer pour le Président avec le soutien d’avocats américains. Dans un délai d’une semaine après réception des documents, Domingo et les 40 autres victimes ont reçu la totalité des compensations.
Un avocat chrétien a gratuitement offert ses services pour Catherine à titre de plaignant privé, a obtenu l’arrestation de l’agresseur et s’est assuré des poursuites judiciaires.
Chacun de ces cas implique une victime qui fait partie d’un système d’injustice plus vaste, auquel il faut s’attaquer par un plaidoyer centré sur des questions générales. Mais dans notre évaluation de la nature structurelle et politique de ces problèmes, nous ne devrions pas passer par-dessus les victimes et les occasions de secourir des millions de prochains en détresse. Nous ne devrions pas non plus négliger les occasions qui existent de fournir les ressources aux chrétiens locaux pour effectuer le travail de plaidoyer au sein de leur propre communauté. Le plaidoyer au cas par cas ne fournit pas seulement la meilleure source de compréhension de base nécessaire pour un plaidoyer pour des prises de position publiques efficace, mais il donne un témoignage concret d’amour tangible pour des individus bien réels.
Nous ne devrions pas sous-estimer à cause d’une imagination limitée, ce qui peut être accompli grâce aux dons variés que Dieu a placés dans le corps du Christ. De nombreux chrétiens qui sont actifs dans la mission, le développement ou le plaidoyer sur des questions générales verraient peu d’espoir pour les cinq victimes des histoires dont nous avons parlées. Mais pour des chrétiens professionnels dans le domaine de la justice publique, ces cas représentent précisément le genre de problème qu’ils savent résoudre. Nous devrions prier pour que le Seigneur mobilise les immenses ressources humaines et financières de professionnels dans le domaine légal afin qu’ils se mettent au service des victimes de l’oppression.
Conclusion
Que Dieu nous donne la capacité de délivrer une vision claire du ministère de plaidoyer pour la justice et le courage de marcher dans cet appel sacrificiel. Que nous puissions présenter clairement les besoins urgents de ceux qui sont sans voix dans le monde, l’invitation biblique à la joie du service et la grande espérance que Dieu ne nous donne pas un ministère sans nous donner la force nécessaire pour l’accomplir. De la sorte, nous dirigerons l’attention des gens sur l’amour de Jésus. Comme David Bosch l’a écrit :
[Jésus] n’est pas monté à des hauteurs célestes, mais s’est immergé dans les circonstances bien réelles des pauvres, des captifs, des aveugles, des opprimés. Aujourd’hui également, Christ se trouve là où se trouvent ceux qui ont faim et qui sont malades, ceux qui sont exploités et marginalisés. Le pouvoir de la résurrection propulse l’histoire humaine vers la fin, sous la bannière ‘Voici, je fais toutes choses nouvelles !’ Comme son Seigneur, l’Eglise en mission doit prendre parti pour la vie et contre la mort, pour la justice et contre l’oppression 4.
Ce texte est extrait du livre “Justice, Mercy and humility” [paternoster, 2002]
Sous dir. Tim Chester
1 Carl F. H. Henry, The Uneasy Conscience of Modern Fundamentalism (Grand Rapids : Eerdmans, 1947)
2 World Vision, World Relief, World Concern, Compassion International, The Salvation Army, Food for the Hungry, Action International, Samaritan’s Purse, Food for the Poor et Habitat for Humanity.
3 Deepa Narayan, et al., Voices of the Poor : Crying Out for Change (Oxford : OUP, 2000), 163.
4 David J. Bosch, Transforming Mission : Paradigm Shifts in the Theology of Mission (Maryknoll, New York : Orbis, 1991), 426.
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