Réseau Michée, septembre 2003 – Mondialisation et pauvreté
Le réseau Michée rassemble des organisations évangéliques situées partout dans le monde et engagées dans la mission intégrale. Réunis par ce réseau et venant de 50 pays, 185 dirigeants de ces organisations agissant contre la pauvreté se sont retrouvés à Querétaro (Mexique) en Septembre 2003 pour réfléchir à la question de la mondialisation et de la pauvreté.
Cette rencontre nous a permis d’entrer dans un processus de dialogue orienté vers une réflexion commune sur la Parole de Dieu et sur ce qu’elle nous dit dans un monde toujours plus globalisé, dans lequel les pauvres, alors qu’on leur promet plus, se trouvent économiquement et socialement marginalisés et culturellement appauvris.
Plus d’un milliard de gens souffrent de la violence quotidienne de la pauvreté absolue. Cette violence raccourcit et dégrade leur vie. Les enfants constituent la majorité de ce groupe. Ils sont particulièrement vulnérables. Environ 30 000 d’entre eux meurent chaque jour de faim et de maladies qui peuvent être évitées. Ces faits monstrueux reçoivent beaucoup moins d’attention de la part des média et des hommes politiques que le terrorisme. En réponse à cette atrocité, nous reconnaissons que nous, dans l’Église, avons trop peu agi contre la situation critique des pauvres. Nous avons donc consacré du temps pendant cette conférence à débattre de réponses appropriées.
Qu’est-ce que la mondialisation ?
La mondialisation revêt différentes significations suivant le contexte :
- D’abord, dans son sens premier, elle fait référence à ces processus sociologiques qui déconnectent les activités humaines de leurs implantations locales et qui les relient au-delà des frontières nationales. C’est la croissance des technologies de l’information et de la communication qui se trouve derrière ce processus.
- Deuxièmement, la mondialisation fait référence à l’émergence d’une société civile mondiale à côté du système de l’État-nation, en incluant des acteurs transnationaux de toutes sortes et avec des degrés divers d’influence globale.
- Troisièmement, la mondialisation fait référence au système économique global, c’est-à-dire au projet néo-libéral d’un marché unique global dans lequel toutes les barrières au commerce et aux flux financiers disparaîtraient. C’est une idéologie politique, promue activement par ce qui est appelé « le consensus de Washington » et auquel s’opposent ceux qu’on appelle à tort dans les média internationaux les militants « anti-mondialisation » (appelés maintenant plus justement en français ‘alter-mondialistes’).
La mondialisation, selon les deux premières significations, démontre la vérité biblique selon laquelle nous sommes liés ensemble en une seule famille humaine au travers de dépendances mutuelles. D’autre part, elle met en relief la nature humaine déchue et notre propension à l’idolâtrie et à la fragmentation. La mondialisation divise autant qu’elle unit. Les nouvelles technologies qui sont au cœur des processus de globalisation ne sont pas par nature des processus d’exploitation. Elles offrent des occasions sans précédent pour résister à des régimes d’oppression, pour dénoncer l’injustice, pour chasser l’ignorance et éradiquer des maladies.
La mondialisation a aussi le potentiel d’encourager un dialogue véritable entre les cultures. Aucun groupe culturel, religieux ou ethnique ne peut se couper des autres. Cependant, étant donné les énormes inégalités de pouvoir économique entre les cultures et le contrôle des média internationaux par une poignée de groupes géants, la tendance est que les images, modèles et pratiques culturelles les plus puissants dominent les moins puissants dans une circulation généralement à sens unique.
La rencontre du réseau Michée s’est principalement focalisée sur la troisième forme de mondialisation à cause de son impact négatif sur les pauvres.
Le système économique global
C’est une supposition courante que l’intégration des économies locales dans le système de marché global conduit automatiquement au progrès économique – qui profite aux pays industrialisés aussi bien qu’aux « pays en développement », aux consommateurs aussi bien qu’aux producteurs, en entretenant une saine compétition, en répandant la connaissance technologique et en augmentant partout la productivité et les niveaux de vie. Une telle intégration implique la suppression des barrières à la libre circulation des biens et des capitaux, en limitant le rôle des gouvernements et en réduisant ainsi la corruption, la stagnation et la bureaucratie – les maux qui ont entravé la croissance des « économies en développement ».
La recette orthodoxe pour la croissance économique au travers du libre accès au marché est promue par les nations du G8 et renforcée par les institutions financières internationales telles que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce. Elle est mise en avant comme étant la solution à la pauvreté mondiale – si elle est fidèlement appliquée, tous les pays pauvres finiront par faire partie du « monde développé » et leurs peuples expérimenteront la liberté et la prospérité d’une société de consommation.
Cependant, de nombreuses preuves démontrent que de telles suppositions ne peuvent pas être prises comme allant de soi. C’est un fait historique que pas un seul pays n’a atteint le statut des pays du Nord via le chemin économique proposé ci-dessus. Même aujourd’hui, les pays riches utilisent en permanence la protection tarifaire, et emploient leur énergie politique et économique pour promouvoir leurs affaires à l’étranger. Ils subventionnent massivement leurs produits agricoles, faisant ainsi chuter les prix et détruisant la source de revenus des paysans dans les pays pauvres. Les flux financiers sans restriction, loin d’encourager la croissance économique, ne font que déstabiliser les sociétés. Le système global actuel est édifié sur de fausses suppositions et sur un principe immoral de double mesure. Au lieu de réduire la pauvreté, ce système est la principale cause de l’extension et de l’enracinement de ce fléau majeur.
En vérité, un effet essentiel en est l’émergence d’une aristocratie transnationale de gens riches matériellement et puissants politiquement face à des masses croissantes de gens pauvres incapables de satisfaire leurs besoins vitaux. Le fossé qui s’élargit non seulement entre les pays riches et les pays pauvres mais aussi entre les riches et les pauvres à l’intérieur des pays, y compris ceux du Nord, montre clairement que le système économique actuel profite d’abord à une minorité riche mais souvent piège la majorité pauvre dans sa pauvreté.
Le fondamentalisme de marché, qui écarte le rôle des États-nations et favorise la suprématie économique, est une menace très sérieuse, non seulement pour la survie des pauvres, mais aussi pour les sociétés ouvertes partout dans le monde.
Une vision biblique
Le point de départ pour une réponse chrétienne est de reconnaître avec le plus grand sérieux que notre vie et notre mission sont enracinées dans l’Évangile – la bonne nouvelle de la Seigneurie de Jésus-Christ.
En tant que disciples de Christ, nous devons remettre en cause ce qui est au cœur de la mondialisation économique contemporaine, à savoir l’idolâtrie de Mammon. La résistance aux pressions de la société de consommation – une société construite sur de fausses suppositions et des valeurs biaisées – n’est pas facultative. Les problèmes que pose ce capitalisme global ne sont pas simplement, et même pas d’abord, économiques ou techniques, mais moraux et spirituels. Le combat auquel nous sommes appelés ne peut pas être mené avec une force seulement humaine, puisque « nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes » (Éph 6:12).
Nous devons être attentifs à l’exhortation de Paul « à être fort dans le Seigneur, et par sa force toute puissante » et « de nous revêtir de toutes les armes de Dieu » consistant en « la ceinture de la vérité, la cuirasse de la justice, l’Évangile de paix, le bouclier de la foi, le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, … et la prière par l’Esprit » (Éph 6:10-18).
Les êtres humains se sont vu confier la gestion responsable de ce qui appartient fondamentalement à Dieu. « La terre est au SEIGNEUR et tout ce qu’elle renferme, le monde et ceux qui l’habitent » (Ps 24:1; cf Ps 89:11). Ainsi quand l’ancien Israël reçut la terre promise (paradigme de l’héritage humain de la terre), Dieu leur dit : « La terre (le moyen de production de base) ne se vendra pas à perpétuité ; car le pays est à moi, car vous êtes chez moi comme immigrants et comme résidents temporaires » (Lev 25:23; Ex 19:5; Éz 46:18). Les besoins de la survie humaine prévalent sur le droit de l’individu à la propriété (par ex. Deut 24:19-22). Ni les gouvernements ni les entreprises multinationales ne sont propriétaires des ressources naturelles de la terre. Dieu les tient pour responsables de la mise en valeur de ces ressources pour le bien de tous les êtres humains qui partagent la planète, et de leur utilisation d’une manière qui respecte l’intégrité de sa création.
Lorsque l’économie rime avec tyrannie, et que tout s’évalue en terme de marchandise et empiète sur chaque sphère de la vie humaine, notre vocabulaire moral perd son sens, la dignité humaine est sapée ainsi que la légitimité du marché lui-même. Ici, nous sommes engagés dans une bataille morale et spirituelle contre l’idolâtrie. Tragiquement cependant, les chrétiens ont été plus moulés par ces idéologies économique et politique que par l’Évangile que nous disons professer. Nous notons, avec tristesse et honte, que les hommes politiques, les économistes et les dirigeants d’entreprise chrétiens manquent souvent de discernement spirituel et de vision biblique du monde, et donc deviennent complices de structures sociales, économiques et politiques qui perpétuent l’idolâtrie et l’injustice. Nous ne devons pas nous conformer aux idoles de notre temps mais être véritablement transformés par le renouvellement de notre esprit par la Parole et l’Esprit de Dieu (Rom 12:1-3).
Rechercher des alternatives
Nous croyons qu’il est nécessaire dans nos ministères d’augmenter la part du plaidoyer en faveur des pauvres. Cela doit aller jusqu’à inclure la dénonciation des « coûts sociaux » du processus de mondialisation dans le contexte local, national et international. Cependant, nous ne pouvons et ne devons pas nous arrêter là, mais plutôt fournir des alternatives viables. Nous nous engageons à en relever le défi par un travail sur le terrain et par un plaidoyer à tous les niveaux.
Nous nous engageons dans les défis spécifiques suivants pour nous-mêmes et pour l’Église :
Nous devons rediriger l’économie globale et les processus de mondialisation vers le royaume de Dieu. La réhabilitation de la politique et de l’éducation politique est essentielle pour y parvenir. Nous devons éduquer les chrétiens en ce qui concerne l’importance du renforcement de la démocratie, à la fois dans leur pays et à l’extérieur. Le manque de volonté politique de la part des pays riches pour réformer les institutions financières internationales et pour remodeler l’économie globale, de sorte que les bénéfices de la mondialisation soient distribués plus équitablement, ne peut être contré que par une mobilisation transnationale de mouvements locaux. Les théologiens chrétiens, les pasteurs, les économistes, les hommes d’affaires, les journalistes, les artistes, les hommes de loi et les autres professions doivent se rassembler avec les pauvres pour réclamer des droits pour les marginalisés et les vulnérables.
Nous, chrétiens et églises partout dans le monde, devons changer nos comportements de consommation. Nous ne pouvons pas ignorer le lien entre notre consommation et les coûts sociaux et environnementaux qu’elle impose. Notre responsabilité de gestion doit prendre en compte la manière avec laquelle les biens et les services que nous consommons sont produits – nous devons assumer la responsabilité des coûts de notre style de vie.
Nous qui intervenons dans des actions de proximité devons faciliter le développement du contenu utile local si les nouvelles technologies de l’information et de la communication peuvent bénéficier aux pauvres. Les nouvelles technologies ne peuvent être utiles aux pauvres que si elles répondent à leurs besoins, sont adaptées à leur culture, et fournissent l’information qu’ils recherchent. (Par exemple, quelle information sous une forme facilement accessible est actuellement disponible sur Internet pour les paysans pauvres ?)
Nous chrétiens, en tant que communauté véritablement mondiale, devrions fournir gratuitement les services de juristes ou d’économistes aux pays pauvres pour leur assurer des termes commerciaux équitables lors des négociations de l’OMC. Il faudrait faire pression pour des clauses sociales et environnementales plus fortes, pour des compensations pour les communautés vulnérables gravement affectées par les décisions de l’OMC, et pour des mécanismes qui empêcheront les pays puissants de malmener les pauvres et de contourner les réglementations.
Nous réaffirmons notre devoir urgent de parler haut et fort pour ceux qui n’ont pas de voix, et de permettre aux pauvres de parler pour eux-mêmes. Nous nous engageons en tant que réseau à travailler ensemble à faire campagne contre les causes et les expressions de pauvreté, d’injustice, de violence, de guerre et de corruption au niveau local, national et international. À cette fin, nous appelons les gouvernements partout dans le monde à :
- Tenir pleinement les promesses de suppression de la dette impayable des pays les plus pauvres du monde.
- Restituer l’argent transféré par des gouvernants corrompus sur des comptes privés dans des banques offshore aux pays qu’ils ont volés.
- Réformer le système bancaire international de sorte que le statut de paradis fiscal soit aboli.
- Exiger que les sociétés dévoilent la totalité des paiements effectués à des gouvernements étrangers dans le cadre d’appel d’offres.
- Soutenir les institutions qui font la promotion de la transparence et de la responsabilité, en particulier la Cour Internationale de Justice qui tient les gouvernements et les armées pour responsables de génocide et autres crimes contre l’humanité.
- Financer pleinement ces agences de l’ONU qui travaillent de façon transnationale pour protéger les réfugiés et promouvoir les droits de l’homme et la protection de la biosphère.
Le service de la dette, la corruption et la fraude fiscale sont les principaux responsables de la fuite des ressources du Sud. La corruption dans les pays pauvres ne serait pas possible sans le soutien tacite et l’implication souvent active de riches entreprises, de banques et de gouvernements du Nord. Pour chaque dessous de table pris, il y a un dessous de table offert.
Le premier défi politique est d’assurer que les acteurs nationaux et internationaux – surtout les institutions financières internationales et les entreprises multinationales qui exercent une immense influence au niveau mondial – soient transparents dans leur fonctionnement et soient redevables envers ceux qui en sont directement affectés. Des mécanismes de gouvernance internationaux sont nécessaires pour que le commerce global et le flux des capitaux respectent les normes de la justice.
Invitation aux Églises
Nous confessons que Mammon a quelquefois faussé notre propre style de vie, à la fois individuellement et dans les églises auxquelles la plupart d’entre nous appartiennent. Nous nous en repentons. Dans notre style de vie et nos choix de consommateurs, nous devons manifester notre préoccupation pour la justice et une gestion responsable des ressources. Nous reconnaissons aussi que, même dans nos faiblesses, nous sommes appelés à la tâche prophétique d’insister pour que les dirigeants du monde remplissent le mandat que Dieu leur a donné de se soucier des pauvres. Avec les mots du psalmiste, nous devrions faire pression sur les gouvernements pour la mise en place de politiques qui « rendent justice au faible et font droit au misérable et à l’indigent ». Cela doit faire partie du cœur de leur mission, alors que ça l’est rarement. Nous répétons la question du psalmiste avec toute l’urgence dont nous pouvons faire preuve : « Jusqu’à quand jugerez-vous avec iniquité, et aurez-vous égard à la personne des méchants ? » (Ps 82:2).
En tant que communauté chrétienne mondiale, nous avons une occasion historique et un impératif biblique d’éradiquer le grand fléau de la pauvreté absolue de notre temps. Les églises, souvent les agents de transformation les plus invisibles mais aussi les plus efficaces dans les situations locales, n’ont toujours pas de voix efficace, mondiale et unie sur le sujet de la pauvreté. Au moment où les gouvernements disent écouter la société civile du Sud et apprécier les initiatives basées sur la foi, il est temps de trouver notre voix mondiale et de relever le défi des décideurs du monde en offrant une alternative basée sur la Bible au discours actuel de la mondialisation. En mobilisant l’imagination et la théologie des chrétiens dans le monde, nous pourrions voir Dieu agir selon des voies que nous ne pouvons pas même envisager.
La vision du prophète Michée de « chaque homme habitant sous sa vigne et sous son figuier » (Michée 4:4) suggère que tout développement que nous faisons doit être bien « enraciné », en tenant compte des connaissances et des ressources venant du système de vie des gens. Être véritablement mondial c’est être véritablement local. Pour être durables, les efforts en faveur du développement doivent être culturellement appropriés. Pour faire véritablement partie de la vie du monde, nous devons nous immerger de manière incarnée dans le vécu de notre propre peuple.
La réduction globale de la pauvreté ne sera pas atteinte sans un « moteur spirituel ». La plupart des mouvements sociaux significatifs dans l’histoire ont eu un fondement spirituel fort. Sans cette vision et cette motivation spirituelles, sans cette autorité morale, nous ne briserons pas la chape de la pauvreté sur les plus pauvres du monde. C’est notre devoir, c’est notre vocation.
Entendez la voix du prophète Michée qui nous dit de ne pas être tenté par le pouvoir militaire et économique, mais au contraire de « pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec notre Dieu ».
Avec cet objectif en vue, le réseau Michée et l’Alliance Évangélique Mondiale lancent une campagne mondiale appelée le défi Michée (www.defimichee.org), pour mobiliser le soutien des chrétiens vers un accomplissement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (donnés par les Nations Unies). La vision du défi Michée est de conduire la mission intégrale de l’Église vers un plus grand niveau d’expression nationale et mondiale, pour proclamer la Parole de Dieu et pour servir avec les pauvres.
Thierry CHEVASSUT dit
Texte très politique, qui semble oublier que la pauvreté est avant tout la conséquence du péché, et que la solution la plus efficace et certaine pour en sortir est de connaître et accepter l’évangile de Christ. La grande pauvreté n’est pas toujours la conséquence de l’exploitation ou de la corruption: elle résulte aussi souvent d’un excédent de population par rapport aux ressources naturelles disponibles, de rivalités et d’égoïsmes qui engendrent des guerres dévastatrices, d’idéologies « émancipatrices » ayant conduit des populations convaincues à porter au pouvoir des dirigeants qui préfèrent ensuite investir dans leur propre bien-être et dans des armements coûteux leur permettant de se maintenir au pouvoir…Oui, vraiment: la clé d’une lutte efficace contre la pauvreté reste la proclamation de l’Evangile tout en donnant aux populations à qui l’on s’adresse les moyens de vivre suffisamment correctement pour être en mesure de l’écouter, et en donnant effectivement un exemple de l’amour de Dieu par un comportement honnête et disposé à partager ce qui peut l’être, et un style de vie effectivement non dispendieux qui s’abstienne de dépenses inutilement ostentatoires !