Auteur : Tulo Raistrick, Tearfund UK
L’étude de cas qui suit met en lumière la façon dont une Église située au centre d’une grande ville et possédant de nombreuses assemblées satellites a été à même d’encourager chacune de ses assemblées locales à développer des initiatives d’action sociale en faveur des pauvres. Elle montre comment cette Église a réussi à créer une structure pour fournir le soutien technique, le financement et la coordination à ces initiatives tout en veillant à ce que la congrégation locale continue à se sentir pleinement responsable du projet dans son ensemble.
Gateway Ministries International et Sahaara Charitable Society, Mumbai, Inde
Premiers pas
L’Église Baptiste de Bombay (BBC) a été fondée en 1869, comme église baptiste indépendante, à Bombay (aujourd’hui Mumbai), en Inde. Au cours des années 70 et 80, sous la houlette d’une nouvelle direction, elle s’est axée davantage sur l’évangélisation et a été davantage influencée par le mouvement charismatique. Ce qui a conduit à une croissance importante de l’Église.
L’Église a su efficacement toucher un public fait majoritairement de jeunes adultes. Pendant les années 80, nombre de ces jeunes adultes ont constaté qu’ils ne pouvaient se permettre d’acheter des maisons proches de l’église. Ils ont donc été encouragés par BBC à déménager vers d’autres quartiers de Mumbai et à démarrer de nouvelles Églises en lien avec BBC. D’autres couples ont été encouragés à les rejoindre. Il y a, à l’heure actuelle, 40 Églises à Mumbai, et d’autres plus en périphérie. Elles forment ce qui est aujourd’hui appelé Gateway Ministries International (GMI).
Les Églises ainsi implantées reflétaient la nature de ceux qui les avaient fondées : de jeunes cadres en majorité. Ils n’avaient guère de difficulté pour toucher des milieux socio-professionels similaires, mais ne parvenaient pas à atteindre les pauvres vivant dans le voisinage. Ce point a été mis en lumière par l’évaluation annuelle conduite par les pasteurs de toutes les Églises GMI. L’évaluation a montré que, bien que les membres de ces Églises soient passionnément engagés en faveur des pauvres et offrent bénévolement de leur temps pour travailler indépendamment au service des pauvres, peu de pauvres venaient dans les églises. Ce constat d’une grande sous-évangélisation des pauvres était un sujet de préoccupation. Il s’est avéré que les méthodes traditionnelles d’évangélisation n’étaient pas efficaces, et qu’il fallait une approche beaucoup plus holistique qui prenne sérieusement en compte les besoins physiques et économiques de ceux que les Églises cherchaient à atteindre. Cette prise de conscience a coïncidé avec la visite de plusieurs orateurs internationaux qui ont encouragé l’Église à manifester concrètement son amour pour ces populations marginalisées.
Il a donc été décidé d’encourager chaque Église à avoir un ministère en faveur des pauvres. Les responsables ont été encouragés à reconnaître au sein de leur congrégation ceux et celles qui avaient une vision et une passion fortes pour le travail au sein d’un groupe marginalisé de leur communauté. Ces personnes ont ensuite été encouragées à réfléchir à la manière dont leur Église pourrait répondre aux besoins d’un tel groupe et à mobiliser, au sein de l’Église, une équipe de bénévoles qui travailleraient avec elles. Chaque Église s’est donné des objectifs pour les initiatives qu’elle entendait commencer comme service pour les pauvres, elle était ensuite tenue pour responsable de la réalisation de ces objectifs.
Cette décision a conduit à une croissance importante du nombre de projets d’action sociale, entrepris par les Églises, avec un bon nombre des 40 Églises GMI entamant de telles initiatives pour la première fois. Ces initiatives visaient des domaines divers et notamment les enfants des rues, les prisonniers, les travailleurs et travailleuses du sexe et les enfants dans les bidonvilles.
Rôle de la Sahaara Charitable Society
En voyant grandir le nombre et la taille de ces projets, le réseau GMI a pensé que ces initiatives pourraient davantage bénéficier de l’apport de spécialistes. En 1994, la Sahaara Charitable Society(1) a été formée pour agir comme catalyseur et groupe de discussion pour toutes ces initiatives.
Sahaara est une organisation non-gouvernementale (ONG) reconnue, étroitement liée au réseau d’Églises GMI. Ses administrateurs sont des membres d’Église qui sont, à leur tour, directement responsables devant les anciens de l’Église de la façon dont ils s’acquittent de leur rôle d’administrateur. En outre, le président de GMI est également vice-président de Sahaara et le président de Sahaara est également vice-président de GMI. Ce qui assure l’étroite relation entre Sahaara et les Églises.
Son rôle est de :
- Agir comme catalyseur pour encourager la mise au point de projets d’Église. Le personnel de Sahaara va dans les Églises GMI pour prêcher et pour présenter la nécessité pour les chrétiens de s’impliquer dans l’action sociale. Ils apportent aussi une contribution à l’école biblique GMI (cours de théologie d’une année pour 10 à 12 étudiants) et offrent à chaque étudiant un stage de « travail avec les pauvres » dans l’un des projets des Églises locales.
- Fournir formation et soutien aux projets d’Église. Sahaara fournit formation et soutien aux Églises locales dans toute une palette de domaines spécialisés comme la gestion d’écoles maternelles, le tutorat d’enfants dans les écoles, et la conduite d’audits de qualité.
- Offrir une structure permettant de coordonner les projets similaires des Églises GMI dans toutes la ville. Plus les Églises GMI se lancent dans le développement d’initiatives, plus des thèmes communs font surface. Par exemple, nombre d’Églises ont identifié le besoin d’écoles maternelles (« balwadis ») dans les bidonvilles locaux. Sahaara offre la coordination de ces écoles maternelles, assurant la formation de tous les enseignants et veillant à ce que toutes les bonnes pratiques soient appliquées dans le travail. Sahaara est aussi la voix centrale qui s’élève pour plaider en faveur de ces écoles maternelles auprès des structures gouvernementales locales.
- Gérer les projets qui ont grandi jusqu’à déborder de la capacité de gestion de l’Église locale. Sahaara apporte son savoir-faire en matière de gestion pour garantir qu’avec la croissance ces projets ne finissent pas par écraser l’Église locale.
- Obtenir des réductions d’impôts et des financements qui ne sont pas disponibles pour les Églises locales. Sahaara possède aussi bien l’éligibilité, en tant qu’ONG enregistrée, que l’expertise pour obtenir des niveaux plus élevés de financement de la part de donateurs institutionnels ou externes en faveur des projets conduits par les Églises.
Préserver la responsabilité de la congrégation locale
Sahaara tient à se considérer comme un soutien aux initiatives des congrégations locales, plutôt que de les gérer, en tant qu’ONG indépendante. En plus de la composition de son conseil d’administration, elle atteint cet objectif de diverses manières :
- Si Sahaara apporte mentorat et formation aux Églises dès l’étape de conception d’une initiative, elle n’apporte aucun soutien financier pendant les une à deux premières années. Pendant cette période, l’initiative doit être entièrement financée par l’Église locale. Ceci contribue à assurer l’engagement véritable de l’Église envers l’initiative et la responsabilité qu’elle endosse.
- Quand une initiative d’Église grandit au point de nécessiter un travailleur à plein temps (généralement après la première ou la deuxième année), Sahaara recrute et gère un travailleur pour le compte de l’initiative et, dans presque tous les cas, cherche à recruter un membre de l’Église locale qui a été impliqué étroitement au développement du projet en tant que bénévole. Sahaara veille aussi à ce que les membres de l’Église locale restent la principale source de bénévoles pour le projet.
- Sahaara apporte soutien et gestion à l’initiative de l’Église, mais le personnel et les bénévoles du projet demeurent en fin de compte toujours responsables vis-à-vis des responsables de l’Église, et l’initiative est toujours officiellement liée à l’Église locale, quelle qu’importante elle devienne.
- Tous les projets sont lancés par l’Église locale qui en reste responsable. L’équipe de Sahaara prie régulièrement pour les populations marginalisées de la ville où la présence chrétienne est faible ou inexistante, mais Sahaara n’initie pas elle-même de nouveaux projets.
- Les Églises GMI sont encouragées à reconnaître le rôle de Sahaara. Dans les réunions de prières des Églises, Sahaara est régulièrement mentionnée en même temps que les initiatives de l’Église et les membres de l’Église sont invités à donner 3% de leurs revenus à Sahaara en plus de leur dîme à l’Église.
Survol des Projets d’action sociale de GMI
Quinze Églises GMI supervisent plus de 40 projets dans la ville de Mumbai, avec le soutien de Sahaara.
Parmi ces initiatives, citons :
- Une école primaire accueillant 390 élèves, qui génère des fonds importants pour d’autres activités de Sahaara
- 13 écoles maternelles (Balwadis), où les enfants reçoivent une formation de base, de la nourriture et des soins de santé, et où on les aide à entrer dans les écoles municipales. Ces écoles maternelles proposent également des clubs para-scolaires pour coacher des enfants plus âgés dans leurs études.
- Un home pour enfants accueillant 12 orphelins, l’objectif étant une croissance jusqu’à une capacité d’accueil de 20 enfants.
- 2 ministères pour les enfants des rues, qui travaillent dans 2 sites à Mumbai, se réunissant tous les dimanches pour enseigner une hygiène de base, pour prier et chanter, et pour fournir de la nourriture et des contrôles de santé réguliers.
- Œuvre auprès des lépreux, offrant un toit, des médicaments de base, le pansement des plaies et des conseils sur la propreté à plus de 50 personnes atteintes de la lèpre. En outre, un culte particulier leur est destiné.
- Travail auprès des malvoyants pour les aider à lire et à répondre aux lettres qu’ils reçoivent, et pour leur enseigner les valeurs morales et spirituelles. Ils sont encouragés à aller à l’église, et 37 d’entre eux l’ont fait le jour de Noël 2006 !
- Travail auprès des travailleurs et travailleuses du sexe en trois endroits de Mumbai, apportant amitié, soins de santé et, en deux endroits, un centre pour la prière et des conseils. En outre, l’un des centres dirige une école maternelle et une école du dimanche pour les enfants des travailleurs et travailleuses du sexe.
- Ministère auprès des eunuques, comprenant la construction de relations, le conseil et les soins de santé.
- Travail dans 7 centres d’éducation surveillée, apportant une éducation sur les valeurs, une formation informatique, une aide aux études, des contrôles de santé et des conseils.
- Travail dans 4 prisons, offrant des classes d’alphabétisation, une formation informatique, la prière et des conseils, et aidant à trouver du travail à la sortie.
- 2 Centres de formation de maîtres, apportant la formation à tous les programmes d’action sociale de GMI reposant sur l’éducation (Académie Alpha, balwadis et home d’enfants).
Un exemple détaillé : Projet AZAAD
Le projet AZAAD (Azaad signifie « être libre ») a commencé avec un noyau d’environ six bénévoles qui désiraient ardemment atteindre et aider les personnes dans les prisons de Mumbai. Encouragés par les responsables de leur Église locale, ils ont mis en œuvre le projet d’enseigner la morale une fois par mois dans une prison de haute sécurité. Après avoir travaillé près de cinq ans dans cette prison, Sahaara a désiré étendre le travail à d’autres prisons de Mumbai. Puisqu’ils avaient prouvé leur potentiel, leur passion et leurs capacités dans leur travail initial, Sahaara a embauché l’un des bénévoles comme coordinateur salarié. Ils furent non seulement capables d’organiser le travail dans leur propre Église, mais aussi d’inspirer et de transmettre la vision à d’autres Églises GMI. Ils aident maintenant six Églises locales à travailler dans quatre prisons, ce travail étant soutenu par un certain nombre de personnels salariés.
Le travail dans les prisons est lié aux Églises locales de la manière suivante :
La « traque » Quatre « traqueurs » (trois hommes et une femme) restent en contact avec des prisonniers, quand ils sortent de prison, les aidant à trouver du travail et leur apportant leur soutien. Ils les mettent également en contact avec l’Église locale du quartier où ils reviennent. En dépit des énormes pressions qui sont exercées sur eux à leur sortie de prison (de la part des réseaux criminels, de la famille, etc.), 40 à 50 prisonniers sont allés à l’église et 10 y vont régulièrement.
Informatiser les données Il y a actuellement beaucoup de corruption chez les gardiens de prison. Il est très onéreux pour la famille d’avoir contact avec les prisonniers, à cause de la nécessité d’acheter les gardiens. Le projet Azaad travaille donc avec les autorités pénitentiaires pour fournir un système informatisé qui recense tous les détenus et aide à organiser des rencontres sans qu’il soit nécessaire de passer par de nombreux intermédiaires bureaucratiques. Ce sera une aide précieuse pour les familles pauvres. Une Église locale isolée n’aurait guère d’influence auprès des autorités pénitentiaires, elle n’aurait pas non plus la capacité pour mettre au point une initiative d’une telle exigence technique, alors l’apport de la coordination et des spécialistes de Sahaara est vitale.
Principales leçons relevées par l’équipe de Sahaara pour les organisations et les Églises qui souhaitent adopter un modèle similaire
- Mettre au point des projets qui servent de modèle et qui inspirent d’autres. Les gens agiront et saisiront la vision quand ils verront des exemples pratiques. Cela peut s’avérer beaucoup plus efficace que de se contenter de convaincre avec des théories.
- N’obliger personne à adopter une approche donnée. Proposer des modèles, mais encourager les Églises à les adapter à leur contexte particulier. Il est crucial que l’Église locale continue de se sentir directement responsable du projet.
- Mettre au point des projets dans des domaines où des individus inspirés ont déjà une vision et un engagement importants.
- Respecter et consolider la responsabilité de l’Église locale. C’est son implication qui maintient l’intégrité et le dynamisme spirituels du travail.
(1) Sahaara signifie « aide » ou « soutien » ou « abri » en Hindi
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