Par Philippe Girardet, pasteur des Églises Protestantes Réformées Évangéliques est directeur du Développement des formations d’Initiatives en France et à l’International.
Vouloir être un témoin dans la société et demander à nos gouvernants d’honorer leurs engagements de réduire la pauvreté et les injustices passe forcément par une interpellation profonde des comportements personnels et collectifs des chrétiens eux-mêmes. Or l’économie joue un rôle clé dans notre style de vie !
L’Économie en 5 mots
Qu’elle soit locale ou mondiale, l’économie nécessite l’utilisation de matières premières, leur transformation permettant la production de nouveaux produits, la commercialisation pour les échanger, le travail humain direct ou indirect grâce aux développements technologiques et un capital afin de mettre en route les activités précédemment citées.
La base biblique de l’Économie Sociale et Solidaire
La Bible n’est ni un livre de science biologique, ni un livre d’économie appliquée. En revanche, elle est le livre de l’être humain en tant que tel ; elle cherche constamment à présenter le plan de Dieu dans sa relation avec l’être humain, homme et femme, et dans la relation de cet être humain avec son environnement direct.
Le Premier Testament va souvent parler de la relation entre la terre et le bien-être, le destin, des créatures de Dieu, notamment de tous les êtres humains. Le concept du « sabbat » (repos), par exemple, renvoie à l’équilibre du jardin initial lorsque Dieu « vit que cela était très bon ». Lévitique 25.6 dit : « Vous vous nourrirez de ce que la terre aura fait pousser pendant ce sabbat, toi, ton serviteur, ta servante, le salarié ou l’hôte que tu héberges, bref, ceux qui sont installés chez toi » . Lévitique 25.14 encourage la justice et le respect des humains : « Si vous faites du commerce, que tu vendes quelque chose à ton compatriote, ou que tu achètes quelque chose de lui, que nul d’entre vous n’exploite son frère. » Jacques 5.3 ajoute la dimension de la rétribution du travail : « Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie… »
En quelques mots, le chemin est tracé :
- Équilibre environnemental, écologique et social, voire spirituel ;
- Respect de la terre, présentée ici comme le capital de base qui doit nourrir ma famille et ceux que j’accueille ;
- Dimension commerciale liée à des valeurs de justice ;
- Management humain impliquant une juste rétribution du travail.
La place de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS)
L’ESS s’inscrit dans le sens de l’Écriture. Elle veut remettre l’être humain au centre, que ce soit en tant que destinataire de l’activité commerciale (réponses à ses véritables besoins, respect du client, absence d’éléments néfastes pour sa santé, etc.) ou en tant qu’acteur de l’entreprise (style de management et d’organisation, impact humain de l’activité sur un territoire en termes d’emplois, de lien social, de réponse à un besoin social particulier, etc.).
L’ESS concerne le style de gestion du capital ; de redistribution des bénéfices et du réinvestissement dans l’outil de travail (pas de délocalisation).
Enfin l’ESS s’inscrit dans le respect de la terre, des matières premières qu’elles soient minières ou produites. La créature de Dieu a été placée dans le jardin, au sein d’un équilibre.
Pour une Économie généreuse
Je parlerai surtout d’économie juste et respectueuse de la création et des créatures. Il faut en premier lieu penser différemment sa propre vie et la vie sociale. Accepter de se mobiliser, de réfléchir, de vouloir entrer dans ce « sabbat » de la terre, le « sabbat » du Seigneur et le « sabbat » de ceux qui sont avec nous.
Il faut reconnaître que nous, chrétiens, avons souvent accepté les statuts quo politiques, économiques, sans trop nous remettre en question. Nous avons justifié une économie de libre entreprise parfois sans limite au nom du principe de l’investissement personnel et de la prise de responsabilité, en liant l’importance du chiffre d’affaires à la bénédiction de Dieu. Nous plaçons parfois nos économies dans des produits qui ne cherchent que le profit, quitte à provoquer délocalisation, licenciement et mort de certains territoires. Nous acceptons trop facilement que ce soit le « moins cher » financièrement qui nous autorise à acheter des produits qui coûtent très chers à la planète. Et si, en termes d’engagement dans la société, nous nous battions pour :
- Favoriser les relocalisations dans les territoires (ce qui ne devrait pas pénaliser les populations des pays du Sud, par exemple, si nous leur donnons la possibilité de transformer leur matière première sur place et de créer leurs propres emplois dignes, ce qui permet de développer l’économie locale au lieu de laisser ces populations sans moyens de faire fonctionner une économie. Accompagner et former des porteurs de projets destinés à créer de l’emploi dans les villages, voilà une des missions d’Initiatives* au Bénin, Sénégal et Niger).
- Placer la qualité du travail et de la consommation responsable au cœur des débats, en lieu et place de l’évolution des taux d’intérêts et de la croissance économique.
- Favoriser les circuits courts et l’économie circulaire (dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production des déchets.).
- Dépasser une pensée humanitaire qui envisage la survie des plus démunis afin de faire advenir une économie de développement où l’humain s’épanouit dans sa richesse et sa complexité.
Les Églises peuvent être des espaces de réflexion, de propositions, d’accompagnement, de soutien actif aux initiatives qui vont dans le sens d’une économie généreuse.
*Initiatives est un établissement de formation, d’abord pour les métiers du médico-social, devenu en 2011 Faculté Libre d’Économie Politique et d’Économie Solidaire, reconnu par les Rectorats de Versailles et de Montpellier. Initiatives s’engage pour une nouvelle économie et propose des formations en ESS. Initiatives est membre de la Fédération d’Entraide Protestante.
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