Auteur : Michael Barram
Survol de l’ouvrage d’Alan Storkey : Jésus et la politique : Affronter les puissances, Baker Academy 2005 (0-8010-2784-5), 336 pages, $16.50
Cette nouvelle contribution d’Alan Storkey abonde de perspectives et de défis pour une vie chrétienne dans le contexte de l’Occident postmoderne (plus particulièrement Europe occidentale [Royaume-Uni, en particulier] et Etats-Unis). Il commence par remarquer que « l’histoire des rapports du christianisme avec la politique est étrange. D’un côté, il semble subversif » (p.7). Citant le Magnificat, Constantin et Soljenitsyne, Storkey reconnaît que « il y a, dans la foi chrétienne, quelque chose qui a dérangé les systèmes politiques » – bien que, fait-il remarquer, « ce dont il s’agit n’est pas clair » (p. 7). Cependant, cette qualité « subversive » n’est qu’une partie de l’histoire. « En même temps, le christianisme semble consentant » (p. 8). L’histoire regorge d’exemples de relations serviles et confortables que les chrétiens ont souvent entretenues avec ceux qui détiennent le pouvoir politique. Comment comprendre ces deux impulsions ? En essayant « d’étudier aussi directement que possible le contenu politique de la vie et de l’enseignement de Jésus », Storkey cherche à comprendre la politique chrétienne – en définitive, il est plus intéressé par une approche normative que par un simple exercice descriptif (p. 8).
Storkey dit : « L’accent est mis sur la politique de Jésus ; nous entendons par là toutes les affaires de l’État : gouvernement, loi, identité nationale, pouvoir, justice, fiscalité, sens de l’État, relations internationales, guerre et politique économique, qui toutes ont fait partie de la vie des hommes tout au long des siècles » (p. 10). Storkey reconnaît que Jésus peut « ne pas apparaître comme politique » dans la mesure où « il n’avait pas d’armée, ne levait pas d’impôts, ne portait pas de vêtements royaux, si ce n’est lors de son procès final » (p. 10). Pourtant, « Jésus est redouté par les principaux partis politiques et fait des commentaires sur toutes sortes de questions politiques… Dans ce sens plus large –gouvernement légitime, loi, pouvoir, justice, partis, conflit, popularité, bien-être et fiscalité, » Storkey trouve « largement assez d’indications sur la politique de Jésus pour remplir un gros livre » (p. 10).
Grosso modo, le livre est structuré autour de l’arc de récits rapportés dans les Évangiles, explorant une large gamme de textes divers. Après avoir brossé le contexte historico-politique de la vie et du ministère de Jésus dans les deux premiers chapitres (Chapitre 1 : Le roi Hérode le Grand ; chapitre 2 : L’arène politique de Jésus), Storkey étudie un certain nombre de questions politiques et leurs conséquences dans le chapitre 3 : Jésus et Jean-Baptiste, et le chapitre 4 : Jésus et Hérode Antipas.
Vers le milieu de l’ouvrage, Storkey étudie la messianité de Jésus (chapitre 5) et le règne/royaume de Dieu (Le gouvernement de Dieu, pour reprendre l’expression de l’auteur : chapitre 6). Aux chapitres 7 et 8, partie de l’ouvrage la plus forte, Storkey argumente sur les principes politiques de Jésus et l’habileté politique de Jésus. Puisant dans sa connaissance étendue et actualisée de l’histoire et de la politique mondiale, Storkey est capable de faire des commentaires étonnamment pointus et fascinants concernant la pertinence politique contemporaine de Jésus (les administrations de Bush et de Blair, par exemple, reçoivent toutes les deux des commentaires importants). Les chapitres 9 et 10 étudient alors « Jésus en tant que dirigeant mondial » et « Jésus et la fiscalité ». Enfin, Storkey revient à la narration, accompagnant Jésus dans sa marche pendant la dernière semaine de sa vie, sa mort et sa résurrection (Chapitre 11 : Le chemin jusqu’à Jérusalem ; chapitre 12 : Jérusalem et la croix ; chapitre 13 : Politique de la résurrection).
Les points forts de ce livre sont, tout d’abord l’accent soutenu et érudit mis sur la politique d’un point de vue biblique. Storkey applique à ces textes et à ces questions une attention méthodique critique, beaucoup trop rare dans le discours politique chrétien actuel. Ensuite, l’analyse des principes politiques de Jésus (en particulier aux chapitres 7 et 8), et de leurs implications potentielles pour la politique moderne, mérite une réflexion approfondie et soignée dans les communautés chrétiennes. Les prédicateurs et enseignants d’aujourd’hui trouveront ici beaucoup de matière à réflexion et à discussion. En lien direct, et peut-être encore plus significatif, Storkey montre de manière frappante que suivre aujourd’hui la politique de Jésus exige un changement radical dans nos pratiques, tant individuelles que nationales. De façon tout à fait radicale, le cœur humain doit passer par une conversion et un changement profonds, pour que la politique de Jésus puisse devenir une réalité vivante dans nos communautés. En même temps, Storkey fait remarquer que des cœurs changés transformeront la société. Les chrétiens ne peuvent prétendre que la politique de Jésus peut rester une prérogative individuelle ; au contraire, elle revêt, de façon inhérente, un caractère collectif.
L’analyse et les recommandations de Storkey ne sont pas partisanes ; il dit clairement que la politique de Jésus n’a jamais été complètement incarnée dans un quelconque corps ou parti politique. Pourtant, il est d’une franchise et d’une précision rafraîchissantes quand il identifie les cas où les valeurs politiques de Jésus n’ont pas été prises à cœur dans l’arène politique (par exemple : les guerres récentes, le militarisme, les politiques fiscales régressives, les hypothèses et orthodoxies économiques, le matérialisme et le consumérisme). Certains des exemples de Storkey pourront (à juste titre !) mettre le lecteur mal à l’aise quand il comparera son comportement et sa vision personnels avec la politique de Jésus. Soit dit en passant que Storkey est exaspéré par la façon pas très délicate dont le christianisme occidental a adopté et endossé les injustices structurelles dans les sphères de l’économie et de la consommation ; la questions revient à plusieurs reprises dans son commentaire. Quand il relève des façons où les perspectives de Jésus ont été détournées, il sort souvent des tournures de phrase mémorables (par exemple : « La nouvelle Droite Chrétienne met en conserve une foi politique dans le dioxyde de carbone du capitalisme et du nationalisme américains », p.284).
Enfin, le point de vue britannique de Storkey sur la politique américaine pourrait bien aider les lecteurs des États-Unis à entendre et digérer son message, étant donné qu’il ne l’aborde pas avec une perspective politique partisane typique (c-à-d : Démocrate, etc.). Ce qu’il a à dire sur les chrétiens américains et sur notre contexte politique (en particulier, à nouveau, aux chapitres 7 et 8) mérite assurément d’être entendu (et d’agir).
En dépit de ces points forts, le livre possède un certain nombre de caractéristiques curieuses qui, pour certains lecteurs, peuvent détourner de sa force et de son utilité générales. Par exemple, Storkey évite les méthodologies critiques rédactionnelles et narratives, ce qui signifie que certains biblistes (y compris celui qui fait cette recension) trouveront son analyse textuelle quelque peu naïve et homilétique. Fondamentalement, il cherche à harmoniser les quatre récits des évangiles (par exemple : Storkey suppose qu’il y a eu deux purifications du temple [plutôt qu’une] parce que les versions synoptique et johannique diffèrent, non seulement par leur place au sein du récit, mais aussi par les précisions et par l’objectif).
Dans un très long appendice, Storkey explique qu’il comprend les évangiles comme un « reportage », qui « n’a pas un objectif littéraire. La signification du [reportage] ne réside pas dans le texte comme c’est le cas d’une nouvelle ou d’un poème, mais en ce qu’il conduit vers son objet » (p. 294). C’est-à-dire, « [le reportage] déplace l’objectif du texte lui-même vers l’objet du reportage. Habituellement, il rétrograde également l’importance de l’auteur » (p. 292). En fait, Storkey se soucie fort peu des évangiles en tant que texte émanant d’un contexte particulier et porteur d’une intention littéraire potentielle (indépendamment de l’inaccessibilité de telles particularités pour le lecteur d’aujourd’hui). Il prend, le plus souvent, les déclarations évangéliques littéralement, donnant souvent l’impression qu’il n’y a guère de questions concernant une donnée particulière, qu’elle soit littéraire ou historique. Dans l’évaluation de la prédiction apparente que Jésus fait de la destruction du temple (Luc 19.41-44), l’approche de Storkey conduit à ce qui s’apparente à un cercle vicieux : « Certains disent que cette prophétie troublante doit avoir été ajoutée ultérieurement, mais cela ne colle pas, parce qu’elle concorde avec l’ensemble du récit » (p. 242). Quelqu’un ne pourrait-il pas émettre l’opinion que si « elle concorde avec l’ensemble du récit » c’est parce que Luc le voulait (d’un point de vue rédactionnel) ?
Si les observations culturelles et historico-politiques de Storkey aboutissent souvent à des éclairages pertinents et irrésistiblement prophétiques qu’il ne faut pas minimiser, son approche des textes évangéliques reflète une herméneutique raisonnée mais fort peu satisfaisante. Une approche critique historique, ou narrative, plus traditionnelle conduirait vraisemblablement aux mêmes conclusions concernant la politique de Jésus, étant donné en particulier que Storkey termine en mettant largement l’accent sur les implications contemporaines des principes et des valeurs de Jésus. Il est difficile de voir comment une telle perspicacité serait perdue par l’emploi d’une approche méthodologique plus « critique ».
Storkey fait preuve d’une bonne connaissance de l’érudition biblique, même si ce n’est pas son champ principal de spécialisation. Cependant, l’identité des personnes avec lesquelles il engage le dialogue biblique n’est pas toujours claire. Jésus et la politique donne quelques détails exégétiques significatifs mais des notes relativement limitées, donnant l’impression que Storkey ne puise qu’occasionnellement dans le travail des biblistes. En outre, quelques-unes de ses références peuvent sembler périmées (par exemple : Storkey cite, avec une certaine régularité, le livre d’Alfred Edersheim, The Life and Times of Jesus the Messiah [La vie et l’époque de Jésus le Messie] [1883 ; 3e éd. ; 2 volumes en 1 ; Londres : Longmans, Green & Co., 1906]).
De telles caractéristiques font de Jésus et la politique une contribution quelque peu inégale, quoique suggestive. Bien que les biblistes puissent ne pas trouver ici grand-chose de totalement nouveau, le livre fait des constatations importantes sur le plan prophétique qui devraient être prises au sérieux dans le discours chrétien contemporain.
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