Auteur : Dr. Miriam Jacob
On était le 4 décembre 1998, plusieurs millions de chrétiens s’étaient réunis, partout en Inde, pour une journée nationale de manifestation. Ce n’était pas sans raison. L’année avait vu un regain de violence contre la communauté chrétienne. Des religieuses avaient été violées, des prêtres tués, des églises et des cimetières profanés. La communauté était au bout du rouleau et il était temps de descendre dans la rue pour manifester. Bien que, en général, nous ne souscrivions pas à un engagement activiste, sur quelque sujet que ce soit, et que nous ne descendions que rarement dans la rue pour manifester, cette fois-là nous l’avons pourtant fait. Nous avions conscience de devoir faire entendre une désapprobation sans équivoque, et nous sommes descendus dans la rue. Nous voulions que les gens comprennent la crise que nous traversions et prennent position pour nous soutenir activement. Les chrétiens réclamaient la justice dans un pays dont la constitution a pour base les droits de l’homme. S’il est louable de la part de la communauté chrétienne de s’être rassemblée pour défendre sa cause, il serait encore plus louable d’aller plus loin.
Vrais ou faux problèmes ?
Dans ce contexte, nous devons nous poser plusieurs questions : « Sommes-nous aussi motivés par d’autres problèmes que nous l’avons été pour celui-ci ? » « D’autres problèmes qui ont accaparé l’attention nationale nous apparaissent-ils moins graves ? » « Comment avons-nous réagi ? » Il est temps que nous y réfléchissions. Est-ce que cela nous concerne ? Avons-nous un rôle à jouer ? Ou bien jouons-nous la sécurité et ne parlons-nous que lorsque ce sont les droits de la communauté chrétienne qui ne sont pas respectés ? Quelle est la raison d’être de notre engagement ? Nous pensons, pour la plupart, devoir nous engager, mais nous sommes coincés dans des discussions sur l’opportunité ou l’inopportunité de notre engagement et nous refusons de les dépasser. Toutes les questions qui meurtrissent le Cœur de Dieu, voilà la raison d‘être de notre engagement. Et pourtant, combien de millions de chrétiens ne réagissent pas face à d’autres problèmes comme ils le font quand cela les touche directement ?
Chaque jour, dans notre pays, plusieurs manifestations en tout genre, à des niveaux divers, ont lieu faute d’autre solution. Des gens se débattent constamment avec des problèmes de malnutrition, d’injustice, de marginalisation, de violence et bien d’autres encore. Un nombre incalculable de fermiers, couverts de dettes, se sont suicidés. Constamment des personnes sont déplacées pour laisser la place à des projets et des programmes de développement qui bichonnent les nantis et aliènent un peu plus les démunis. La discrimination reposant sur les castes continue même dans les milieux les plus progressistes, la maltraitance des enfants et des personnes âgées est un phénomène récurrent, et la liste pourrait continuer à l’infini. Beaucoup de personnes apportent leur voix pour soutenir ces causes de différentes façons. Certains ont été le fer de lance du mouvement contre l’injustice, sans être victimes eux-mêmes, mais parce qu’ils étaient émus par ces situations désespérées. À notre époque, qui se lève pour ceux qui sont opprimés et qui souffrent, qui parle en leur faveur ? Ce ne sont certainement pas ceux qui professent être chrétiens.
Le plaidoyer – Pas pour les chrétiens ?
Le plaidoyer est un processus consistant à exercer une pression sur les politiques, les projets, les programmes, les procédures et les structures qui sont dans l’erreur. Nous possédons le plus grand et le plus puissant outil de plaidoyer qui soit, quand nous allons vers Dieu dans la prière. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de nous cacher sous le couvert de la prière pour dire que tout commence et s’achève en elle. Nous pouvons l’appliquer à toutes les situations sans distinction. Mais pourquoi sommes-nous tellement sélectifs pour ce qui est d’un engagement réel ? Nous sommes appelés à des actes concrets.
À plusieurs reprises, la Bible nous exhorte à parler, ou à nous lever pour les pauvres, les marginalisés, c’est-à-dire ceux qui sont lésés et sans défense, et à combattre l’injustice. Dans l’histoire, quand l’oppression devient intolérable nous voyons des chefs et des prophètes, choisis par Dieu, qui la condamnent et se lèvent pour la combattre. Dans la plupart des cas, nous trouvons, dans les Écritures, des chefs comme Moïse, Néhémie ou Esther, qui plaident en faveur de l’autre et pas tant pour eux-mêmes. Sans doute l’ont-ils fait pour leur communauté, mais sans être eux-mêmes directement menacés. Il leur aurait été beaucoup plus simple de chercher refuge dans leur proximité avec les puissants. Pourtant, quelques exceptions mises à part, nous avons une abondance d’exemples de chrétiens qui élèvent la voix haut et fort quand cela les touche de près, mais restent absolument silencieux quand cela touche les autres. La question à méditer est la suivante : quand nous ne prenons pas position, faisons-nous ce à quoi nous sommes appelés ?
À quel niveau nous plaçons-nous ?
Pourquoi la plupart des problèmes ne parviennent-ils pas à nous bousculer ? Il pourrait y avoir trois raisons principales à cela. Soit nous sommes dans l’ignorance quant à ce qui se passe autour de nous, ou bien nous sommes indifférents, nous n’en avons que faire, ou encore nous n’avons ni le temps ni l’envie d’y remédier. Certains d’entre nous sont véritablement ébranlés par les problèmes, mais les exigences de notre travail, de notre famille, de notre Église ne nous laissent pas de temps libre pour agir. La majorité d’entre nous a une existence tellement matérialiste que les événements et les problèmes de ce monde n’ont guère d’importance à ses yeux. La plupart du temps, nous vivons dans un état égocentrique. Nous sommes connus pour être la communauté minoritaire la plus timorée. Dimanche après dimanche, nous pouvons apporter notre voix au grand chœur qui chante « Alléluia, mon Sauveur vit », tout en ne tenant aucun compte des instructions du Sauveur ressuscité pour notre existence en tant que chrétien dans ce monde. Que nous faudrait-il pour manifester un plus grand souci ? Le souci du royaume pour les âmes nous poussera-t-il un peu plus à traiter les facteurs qui blessent le corps et l’esprit, les laissant dans un état de totale impuissance ?
En parcourant le Bihar rural, j’ai rencontré des dizaines d’enfants chargés de prendre soin des buffles. Ils avaient de longs bâtons à la main et traînaient, en petits groupes, le long des routes. Au début, en les voyant, j’ai demandé, dans mon ignorance, ce qu’ils faisaient sur la route avec ces bâtons. J’aurais dû m’en douter. C’étaient des enfants à qui on a volé leur enfance, et personne ne s’en soucie là-bas, c’est si courant. Est-ce que c’est mon affaire ? Quand nous parlons d’engagement, nous faisons étalage de nos écoles et de nos hôpitaux missionnaires, et de ce qu’ils ont apporté au pays. Sans nier leur contribution, faire fonctionner quelques écoles par-ci et quelques écoles par-là, et donner à manger à ceux qui peuvent se permettre ce que nous leur offrons n’apportera rien aux centaines de ceux qui ne vont pas à l’école. Il faut faire beaucoup plus pour ceux qui sont dans un réel besoin.
Le plaidoyer : un choix
Contrairement à la majorité des personnes ignorantes ou indifférentes aux problèmes importants à l’heure actuelle dans notre pays, l’engagement a été le lot de quelques-uns. Et ceci peut bien sûr se vivre à des niveaux différents. La ville de Mumbai n’a guère besoin d’être présentée pour la plupart d’entre nous. À côté de toutes les grandes choses concernant cette ville, on peut citer quelques-uns des problèmes tristes et négatifs auxquels nous faisons sans cesse face : les enfants des rues, les personnes démunies et malades jetées sur les routes, les femmes se livrant à la prostitution, les communautés de migrants en difficulté, les autres groupes marginalisés, une liste infinie. En visitant la ville en petits groupes, nous avons rencontré de nombreux groupes d’église activement impliqués dans la vie de ces personnes. Leur engagement allait au-delà de la satisfaction des besoins immédiats. Nombre d’entre eux, à divers degrés, ont pris leur cause à cœur. Ils ont choisi de s’investir.
Il s’agit d’un choix conscient, le choix de s’investir, le choix de chercher activement à connaître les besoins de ceux qui nous entourent et qui ne peuvent les prendre en main. Dieu m’appelle-t-il à cela ? Ce n’est pas que tous doivent revêtir la panoplie d’activiste ou de travailleur social ; il faut par contre que les problèmes ne s’arrêtent pas à la une des journaux que nous lisons ou des émissions de télévision que nous regardons. Comment cela peut-il se traduire ? Les autres articles de ce numéro donnent beaucoup d’exemples de ce que nous pouvons faire. La tâche est énorme, mais nous devons commencer quelque part. Nous sommes peut-être capables d’apporter des changements dans des situations plus proches de nous, mais dans des situations plus éloignées et que nous pensons au-delà de notre sphère d’influence, nous pouvons engendrer une prise de conscience dans nos divers groupes qui mènera à de petites actions. Nous n’avons pas le choix de détourner le regard.
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