Auteur : Peter Sawtell
Al Gore nous dit, dans An Inconvenient Truth [Une vérité qui dérange], que beaucoup de gens sautent rapidement du déni au désespoir quand ils prennent conscience de la réalité du changement climatique mondial. La semaine dernière, j’ai émis l’idée que le désespoir et le déni deviennent nos premiers choix quand nous ne sommes pas capables d’imaginer – seulement imaginer – qu’il est possible de vivre autrement. Il est impossible d’œuvrer pour le changement si on croit que « les choses sont ce qu’elles sont » parce que « les choses doivent être ainsi ».
« Si vous voulez construire un bateau, ne battez pas le rappel pour que des personnes ramassent du bois et ne leur fixez aucune tâche ni aucun travail, apprenez-leur à soupirer après l’immensité infinie de la mer. »
Antoine de Saint-Exupéry
« Si vous voulez que les personnes agissent sur le changement climatique, ne vous contentez pas de leur enseigner le désastre imminent et les technologies émergeantes, aidez-les également à espérer un monde meilleur. »
Peter Sawtell
Je sais, je sais, Antoine a remporté le prix de la littérature élégante, haut la main.
La première étape pour faire bouger les individus et la société vers un réel changement repose sur l’imagination – la prise de conscience créative et pleine d’espoir que les choses peuvent être autres que ce qu’elles sont. À cette étape, point n’est besoin de descriptions détaillées ni de déclarations bien accordées. Quand nous insufflons aux gens l’énergie qui va les amener à prendre en compte le changement climatique, le monde imaginé n’a même pas besoin d’être un monde où la crise du réchauffement climatique est résolue. Il suffit d’aider les gens à prendre conscience qu’un « autre monde est possible » — n’importe quel autre monde – alors la porte s’ouvre à une prise de conscience et à une action nouvelles. S’ouvrir à ce genre d’imagination nous libère du piège du déni et du désespoir.
L’imagination est un don de l’Esprit. Comme tous les autres dons, il peut être entretenu et cultivé. Voici quelques moyens qui ont fait leurs preuves en matière de stimulation de l’imagination et d’ouverture de la pensée et du cœur à des possibilités nouvelles :
Se souvenir – L’imagination peut s’enraciner dans notre expérience de la vie. Quand je dirige des ateliers sur la simplicité volontaire, nous commençons en général par un moment de réflexion et de conversation paisible. On demande à chaque participant de se souvenir – distinctement et émotionnellement – d’un moment de sa vie où il s’est senti équilibré, satisfait et joyeux. En discutant de ces expériences, le groupe parvient à une prise de conscience commune que ces moments les plus précieux de notre vie n’ont presque rien à voir avec des biens matériels que l’on possède. Nous découvrons en nous-mêmes qu’en vérité une vie abondante et satisfaisante n’est pas liée à la richesse. Avec cette prise de conscience, les participants sont capables d’imaginer que la bonne vie qui les attend ne dépend ni de leurs revenus ni de leurs biens.
Découvrir d’autres cultures – L’anthropologue Wade Davis a écrit : « Le monde dans lequel vous êtes né n’est qu’un modèle de réalité parmi d’autres. Les autres cultures ne sont pas des tentatives manquées d’être vous ; elles sont des manifestations uniques de l’esprit humain. » Mon exposition aux cultures Pueblo du sud-ouest des Etats-Unis – grâce à des lectures historiques et anthropologiques, ainsi qu’à de nombreux voyages – m’a ouvert à la possibilité de façons non hiérarchiques d’organiser la vie communautaire et de vivre des relations harmonieuses avec le monde de la nature. Quand nous abordons d’autres communautés et cultures avec respect et selon leurs conditions, non comme des curiosités, nous ressentons la preuve que d’autres façons de vivre sont largement possibles. L’imagination de possibilités créatives sera stimulée si vous étudiez l’anthropologie, faites un voyage missionnaire ou allez simplement faire le tour d’une communauté locale multiculturelle.
Se heurter aux limites – Notre culture moderne repose sur l’attente de ressources abondantes et d’une croissante perpétuelle. Accepter la réalité de limites dans certains domaines de votre vie peut aider à guider la pensée créative vers d’autres approches joyeuses de la vie. Faites une randonnée pédestre où vous devez tout porter dans votre sac à dos et demandez-vous si « plus » est toujours « mieux ». Si vous avez une certaine aisance financière, essayez de vivre quelque temps avec un budget familial nettement plus réduit. (Bien sûr, de nombreuses personnes sont obligées d’imaginer de nouvelles façons de vivre face au chômage ou à d’importantes factures médicales.)
Lire de la bonne littérature – De bons écrits ouvrent notre imagination à de nouvelles réalités. Les auteurs d’histoire naturelle nous présentent les relations écologiques complexes que nous n’aurions peut-être pas vues ou appréciées autrement. Les romans de fiction nous permettent d’entrer dans de nouveaux genres de relations sociales et interpersonnelles. Une bonne science-fiction ne tourne pas autour de gadgets, mais elle utilise d’autres mondes pour étudier les options sociales, économiques et politiques. (Essayez Ursula Le Guin pour des livres qui élargissent vraiment l’esprit.)
Étudier la Bible – Faites des études approfondies des épîtres du Nouveau Testament et de leur message récurrent que les façons de faire de l’empire romain ne doivent pas définir la morale et le comportement des chrétiens. Lisez les prophètes hébreux et écoutez tout à nouveau comment le fait de se détourner de ce qui est mal est lié à la possibilité de se tourner vers ce qui est bon. Découvrez des endroits où l’espoir d’un monde différent rend plus fort. (Je me sers souvent de la description vivante d’une « communauté shalom » en Zacharie 8 comme d’une expérience imaginative de ce que les choses peuvent être autres. « Voici ce que déclare le Seigneur des armées célestes : Si ce qui reste de ce peuple pense que c’est trop extraordinaire pour ces jours-là, dois-je, moi aussi, l’estimer impossible ? »)
Imaginer des changements précis – Se représenter un seul changement spectaculaire dans notre système social, puis étudier toutes les implications de ce changement, peut à la fois permettre un œil critique sur notre façon de vivre actuelle et ouvrir de nouvelles possibilités. À quoi ressemblerait notre société et comment nous y sentirions-nous si la plupart des publicités étaient interdites ? Et si la puissance et la richesse des grandes entreprises étaient réduites spectaculairement ? Et si l’essence coûtait 7€ le litre ?
Et la technologie ? Pouvons-nous aider des personnes à imaginer un monde différent en leur montrant des inventions nouvelles et étonnantes ? J’ai des doutes sur ce point.
D’une certaine manière, une célébration de l’efficacité énergétique, de nouveaux systèmes de production d’énergie ou de voitures hybrides peut empêcher l’imagination. Nous pouvons être séduits par l’idée que de nouvelles inventions nous permettront de vivre comme nous l’avons toujours fait. Nous n’avons pas besoin de vraiment imaginer de nouvelles façons de vivre, parce que les scientifiques peuvent régler les problèmes à notre place. Mettre un accent trop important sur la technologie signifie que nous ne sommes pas poussés à imaginer des alternatives aux voitures individuelles et aux villes tentaculaires.
Cependant, la réalité des nouvelles technologies peut nous aider à imaginer une société accessible confrontée au changement climatique – et à voir qu’il peut être préférable au monde d’aujourd’hui. Les sources d’énergie renouvelable nous permettent d’imaginer un monde indépendant de l’économie et de la politique pétrolières. Une technologie qui change nos valeurs et nos infrastructures peut aider à stimuler notre imagination et notre espérance. (D’ici deux semaines, une ligne de transport urbain sur rail sera mise en service à deux pas de chez nous et je suis enchanté des nouvelles possibilités de transport qu’elle va offrir, exemptes d’embouteillages et de problèmes de stationnement.)
Le changement climatique mondial est, pour notre monde, la menace la plus pressante et la plus décourageante. Sans imagination, nous avons toutes les chances de tomber soit dans le déni soit dans le désespoir.
Personnellement, et au sein de nos églises et de nos groupes communautaires, puissions-nous stimuler le genre d’imagination vivante qui nous permettra d’éviter la paralysie et de travailler à un monde meilleur.
Shalom !
Peter Sawtell
Directeur exécutif de Eco-Justice Ministries
Source : http://www.eco-justice.org/E-061103.asp
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