Auteur : Elaine Storkey
L’Afrique est la patrie des grand-mères résilientes. J’en ai rencontré quelques unes et j’ai pour elles la plus profonde admiration. Elles se sont retrouvées avec la nouvelle génération à élever parce que leurs enfants adultes avaient succombé au sida. Ces femmes portent aujourd’hui le poids des problèmes de l’Afrique. Se réveiller tous les jours avec une douzaine de bouches à nourrir et pratiquement pas d’argent n’est pas une perspective facile. Un bien trop grand nombre d’entre elles doit faire face à une pauvreté aiguë, au paludisme, à un accès insuffisant à l’eau potable et à des ressources limitées pour l’éducation des jeunes. Et rien ne prouve que la tâche quotidienne de prendre soin des touts petits et des enfants deviendra plus facile avec l’âge. « Comment y arrivez-vous ? » ai-je demandé à Esther, 70 ans. « Je prie », a-t-elle répondu.
Le problème, c’est que malgré nos nombreuses promesses, les pays riches n’ont pas été très bons pour ce qui est de donner à l’Afrique. Ce que nous avons appelé « donner » a été en fait le résultat de motifs divers. Dans les années 70 et 80 par exemple, l’aide était mêlée à la politique de la guerre froide. Elle procurait à l’Occident un moyen efficace de gagner des alliés stratégiques et de contrer l’influence russe dans le Tiers-Monde. L’aide était aussi liée à des projets prestigieux mais peu utiles : des équipements coûteux restaient inutilisés parce que les générateurs électriques locaux n’étaient pas assez puissants. L’aide a été liée à la vente d’armes, avec des conséquences souvent désastreuses. On l’utilisait pour soutenir des régimes corrompus. L’argent destiné à l’Afrique revenait à l’Occident dans des comptes bancaires privés. (A une date aussi récente que 2002, on estimait que la corruption coûtait 150 milliards de dollars à l’Afrique.) Parce que notre façon de donner versait souvent dans le compromis, les résultats s’en ressentaient, faisant du mal autant que du bien.
Des remboursements de dette écrasants signifiaient aussi qu’il y avait davantage d’argent qui passait de l’Afrique à l’Occident que l’inverse. Pour chaque dollar donné sous forme d’aide, 3 dollars revenaient aux pays riches en remboursements d’intérêts. Donner c’était en réalité recevoir. Les dévaluations ne faisaient qu’empirer les choses. Alors que la dévaluation du dollar américain réduisait les dettes des États-Unis, la dévaluation des monnaies africaines augmentait leur dette, rendant le poids du remboursement insupportable. Et il n’est jamais arrivé beaucoup d’aide. On n’a donné qu’une toute petite partie des 0,7% du PNB promis il y a 30 ans.
Dans tous ces cas, les dons de l’Occident se sont faits dans le compromis ou ont été illusoires. Nous avons souvent donné aux puissants plutôt qu’aux pauvres et nos motivations ont été au mieux ambiguës, et au pire ont servi nos propres intérêts. Au regard du détail sur l’aide donnée par la commission africaine, il se peut que nous ayons besoin de réfléchir sur ce que signifie vraiment donner.
Il y a peu de textes où les exigences du don soient aussi explicites que dans le Sermon sur la montagne. Car Christ démonte tout ce qui ressemble à de l’intérêt personnel ou à des gains futurs. Donner vraiment, en revanche, est la mise en œuvre de l’amour du prochain. C’est quelque chose de juste et d’impartial, qui ne fait pas de discrimination entre les gens ni ne fait de favoritisme. Le don véritable est altruiste, il n’attend rien en retour. Il est abondant et généreux : « une bonne mesure, bien serrée ». Le don véritable n’est pas ostentatoire ni paternaliste, mais va paisiblement de ceux qui ont des ressources à ceux qui sont dans le besoin. En fait, seul Dieu connaît les profondeurs de ce qui est donné et donne en retour.
Ce peut être le genre de don dont nous avons besoin si nous voulons démanteler les barrières commerciales avec l’Afrique et les subventions qui font chuter le montant des salaires des agriculteurs africains. C’est ce genre de dons qui pourraient financer de nouvelles routes, des réseaux électriques et une meilleure éducation. En réalité, seul ce genre de dons nous permettra de doubler notre budget d’aide et d’annuler les dettes. Cependant, même cette manière-là de donner rentre tout à fait dans nos capacités et égratigne à peine notre richesse. Celles qui donnent le plus (et de loin), ce sont les grand-mères africaines, car elles donnent tout ce qu’elles ont.
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