Auteur : Miroslav Volf
Extrait du chapitre 2 de « C’est gratuit » de Miroslav Volf (Grand Rapids : Zondervan, 2005), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
Dieu « donne généreusement aux pauvres » (2 Corinthiens 9.9). Nous devons donc faire de même. Revenons un moment sur les cadeaux de Noël. J’en ai parlé précédemment comme d’une fête où l’on se fait réciproquement plaisir en famille ou entre amis à travers l’échange de cadeaux. Cependant, il y a quelque chose d’inéquitable, dans une célébration de Noël limitée à la mise en scène rituelle d’une communauté où l’on donne et reçoit dans la joie. Bien qu’une telle communauté aimante soit un bien terrestre comparable à beaucoup d’autres, c’est assurément un péché que de telles communautés restent tournées sur elles-mêmes, dans un monde où les besoins sont énormes et incessants. Les cadeaux ne devraient pas circuler au sein de la seule communauté pour le plaisir de ses membres. Ils devraient également déborder vers ceux qui lui sont étrangers, pour soulager leurs besoins.
Regardez le véritable cadeau que nous célébrons à Noël : la venue de Dieu dans le monde. Voici comment l’apôtre Paul raconte l’histoire de Noël : « En effet, vous connaissez le don généreux de notre Seigneur Jésus-Christ. Il était riche, mais pour vous, il s’est fait pauvre, afin de vous rendre riches par sa pauvreté. » (2 Corinthiens 8.9) Le Fils de Dieu n’est pas venu habiter parmi les humains simplement pour élargir notre horizon sur les relations profondes au sein de la trinité. Il s’est dépouillé lui-même des richesses célestes et il est devenu un enfant pauvre pour que la chair fragile de l’humanité puisse être saisie dans l’étreinte de Dieu. Le cercle des Intimes Éternels s’est ouvert, et des dons ont franchi ses frontières pour atteindre ceux qui sont dans le besoin. Nos cadeaux ne devraient pas se limiter à voyager dans une voie à double sens pour que ceux qui donnent et ceux qui reçoivent puissent prendre plaisir les uns dans les autres ; ils devraient voyager dans une voie à sens unique pour que ceux qui sont dans le besoin puissent recevoir de l’aide, ces cadeaux étant transmis à ceux qui ne pourront peut-être pas donner en retour.
À Noël, nous devrions célébrer deux façons de donner des cadeaux, et ne pas nous limiter à une seule. Noël devrait être une fête de dons réciproques à l’intérieur d’un cercle d’intimes, une mise en scène provisoire de l’avènement du monde de Dieu à venir. Mais Noël devrait être aussi une fête de dons à l’extérieur du cercle, une petite contribution qui aide à aligner le monde du péché et des besoins sur le monde d’amour à venir. L’avènement de la lumière dans les ténèbres du monde n’est pas le but ultime ; il fait partie du mouvement vers ce but. À Noël, nous célébrons ce mouvement. Les cadeaux devraient donc principalement aller vers les nécessiteux ; ils ne devraient pas circuler majoritairement entre amis.
Comme Dieu, nous devrions donner aux nécessiteux sans distinction : aux étrangers comme aux proches, à ceux qui ne le méritent pas comme à ceux qui le méritent. L’origine de ceux ou celles qui sont dans le besoin, la couleur de leur peau ou leur comportement n’entrent pas en ligne de compte. Ce sont leurs besoins qui comptent, ainsi que leurs incapacités (bien que, s’ils sont capables de pourvoir à leurs propres besoins, mais ne veulent pas y pourvoir, ils soient des preneurs illicites, non des bénéficiaires légitimes). Il est parfois difficile de trancher pour savoir ce qui constitue précisément un besoin. Par exemple, un besoin dans un certain endroit (une nation occidentale riche) peut être de l’opulence dans un autre (en Afrique sub-saharienne). Des donateurs différents peuvent évaluer un besoin de façons différentes. Mais quelle que soit l’évaluation, en présence d’un besoin, un don devrait être donné, quelle que soit la personne qui a ce besoin.
Vous vous souviendrez que dans « Nathan le sage », le sultan Saladin a cherché à enrôler Al-Hafi, un ascète et donc un mendiant, comme trésorier, pour la simple raison qu’un mendiant sait comment donner aux mendiants à bon escient. Pour convaincre Al-Hafi et lui faire savoir ce qu’il attendait de lui, Saladin a décrié son prédécesseur : « Quand il donnait, il donnait de mauvaise grâce ; il commençait par s’enquérir avec beaucoup de véhémence de la situation du destinataire ; il n’était jamais convaincu qu’il était dans le besoin, il voulait également savoir la cause de ce besoin, pour mesurer chichement la cause à l’aune de l’offrande. »
Pour celui qui donne, tous les besoins sont, jusqu’à un certain point, identiques, et le simple fait de leur existence est une raison suffisante pour y répondre. Seuls ceux qui donnent de mauvaise grâce et avec réticence se préoccupent des causes d’un besoin et distribuent les bienfaits au compte-gouttes proportionnellement à la légitimité perçue de ce besoin.
Certains bénéficiaires indigents peuvent se révéler indignes. Ils peuvent être ingrats, ils peuvent même gaspiller les dons de manière irresponsable avant même que leur besoin véritable ne soit satisfait, et ils peuvent refuser par avarice de donner ne fût-ce qu’une miette provenant de leur table à leurs prochains qui sont dans une situation plus désastreuse qu’eux. Il est évident qu’ils doivent apprendre à la fois comment recevoir et comment donner, mais probablement pas l’apprendre de ceux qui leur ont donné, de peur que ceux qui donnent ne se montrent réticents et arrogants, et par conséquent de mauvais donateurs. Cependant, si les bénéficiaires sont dans le besoin, des dons doivent être donnés. Le besoin est la seule justification demandée par un don.
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