Auteur : Ian Barns
Je me suis converti à l’âge de onze ans. C’était l’une des choses les plus surprenantes qui me soient arrivées. À l’époque, ma mère était directrice d’un foyer méthodiste pour jeunes gens à Albany, et j’avais commencé à aller à l’école du dimanche et aux cultes du soir. J’ai commencé à me demander ce que pouvait bien être le christianisme, alors j’ai demandé à mon frère aîné qui était sur le point de devenir missionnaire qu’il m’explique. Bien que l’explication qu’il m’ait donnée ait été assurément correcte, je ne l’ai guère comprise.
Sa réponse la plus efficace a été de m’emmener un soir au service d’évangélisation de l’église baptiste locale. Là, j’ai entendu parler du choix radical entre suivre Jésus ou Satan. Bien que je n’aie pas répondu à l’appel à la conversion ce soir-là, je suis allé plus tard voir le pasteur pour lui dire que je voulais donner ma vie à Jésus. Ce qui a été tellement surprenant, ce sont les changements qui se sont produits en moi. J’avais soudain l’envie de lire la Bible, un sentiment de joie et une soif de m’impliquer dans des activités chrétiennes, parmi lesquelles des visites aux personnes âgées de l’hôpital local : rien de ce que j’avais imaginé. Quelques semaines plus tard, j’ai été baptisé, en reconnaissance publique et formelle de ma conversion. Pourtant, les anciens de l’Église m’ont jugé trop jeune pour être reçu comme membre de l’Église. J’ai souvent repensé à cela, me demandant pourquoi je pouvais être considéré comme suffisamment âgé pour être accepté par Jésus, mais trop jeune pour être membre de la communauté de l’Église.
Alors que le baptême est si important dans le Nouveau Testament, et que les diverses pratiques du baptême ont été une source de division et de conflit entre les Églises et même à l’intérieur de celles-ci, il est plutôt paradoxal qu’on accorde en fait peu d’importance au baptême pour façonner et soutenir la pratique de la formation du disciple chrétien. Pour une part, ceci est probablement dû au fait que, dans certaines traditions, le baptême a été réduit à l’acte quelque peu superficiel de « baptiser » des enfants (comme on baptise un bateau ou une rue), tandis que dans des traditions plus évangéliques et charismatiques, le rite du baptême n’est guère plus que le signe formel d’une beaucoup plus importante transformation intérieure.
Comme je viens de le souligner, le baptême est pourtant, de toute évidence, d’une importance centrale dans le Nouveau Testament. Comme l’écrit Paul dans ses diverses lettres (Romains 6, Galates 2) le baptême représente notre identification à la mort et à la résurrection de Jésus. Il définit les termes de notre vie de disciples du Christ :
Ignorez-vous que nous tous qui avons reçu le baptême de Jésus-Christ, c’est le baptême de sa mort que nous avons reçu ? Par ce baptême de la mort, nous avons donc été ensevelis avec lui afin que, tout comme le Christ s’est réveillé d’entre les morts, par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions sous le régime nouveau de la vie. (Romains 6.3-4)
Quand nous pensons au baptême, notre pensée se tourne en général vers nous-mêmes et vers ce qu’il implique pour nous en tant qu’individus : notre combat pour être des chrétiens fidèles, remplis de l’Esprit, etc. L’enjeu central est notre enjeu, et Dieu est là « rien que pour nous ». Cette orientation est le reflet de l’influence puissante d’une compréhension essentiellement individualiste de la vie chrétienne qui a été l’héritage malheureux de longues années de chrétienté. Susan K. Wood, théologienne catholique, en fait ce commentaire :
… pour toutes sortes de raisons, liées au fait que le christianisme devenait une religion majoritaire plutôt que minoritaire et à la désintégration d’un rite d’initiation unifié, le sens communautaire du baptême a été remplacé par un accent plus individualiste. L’accent individualiste a souligné le salut de l’individu par l’enlèvement du péché et l’octroi de la grâce plutôt que l’incorporation dans une communauté eschatologique identifiée sous le nom de corps du Christ.
Comme John Yoder le fait remarquer dans son chapitre sur « Baptême et Nouvelle humanité », ce cadre individualiste nous voile la plus grande réalité historique dans laquelle le baptême nous incorpore :
Il ne suffit pas de dire que chacun de nous est individuellement né de nouveau et baptisé, avec pour résultat que tous les individus nés de nouveau sont rassemblés dans un seul endroit, ayant reçu de Dieu le commandement de s’aimer les uns les autres, sans que subsiste aucune raison de discrimination. Paul va plus loin : il dit que les deux peuples, les deux cultures, les deux histoires ont conflué en une seule humanité nouvelle, une nouvelle création. L’ordre est donc l’ordre inverse de nos attentes modernes. Il existe une nouvelle réalité sociale interethnique dans laquelle l’individu est incorporé, et non une réalité sociale qui serait la somme des individus.
Nous devons donc penser au baptême, non pas principalement en termes de ce qu’il signifie pour nous en tant qu’individus, mais plutôt en termes du récit plus vaste du salut dans lequel nous sommes incorporés par le baptême. Dans ce récit plus vaste, la mort et la résurrection ne constituent pas un événement unique qui a eu lieu pour le salut de chaque pécheur individuellement.
Au contraire, cet événement est le summum du dessein de Dieu pour Israël, pour l’humanité et pour la création, cristallisé dans la confession que le Christ est le Seigneur de toutes choses (Colossiens 1.15-20).
Au cœur de l’histoire chrétienne se trouve le paradoxe qui veut que, dans cette crucifixion scandaleuse et humiliante, Jésus ait accompli l’espérance d’Israël que Dieu enverrait son Messie pour établir son royaume éternel comme il l’avait promis ; mais d’une manière qui est allée au-delà et plus profondément qu’Israël ne l’avait imaginé. Dans et par le moyen de sa résurrection, Jésus provoque cette nouvelle humanité, ce nouveau monde et cette nouvelle création qui ont toujours été le dessein de Dieu.
Il est intéressant de remarquer que certains évangéliques américains essaient de retrouver cette plus large vision canonique narrative. Webber et Kenyon, par exemple, ont édité une sorte de manifeste : « Appel à un Avenir Évangélique Ancien ». En voici un extrait :
À propos de la louange dans l’Église en tant que façon de dire et de mettre en application le récit de Dieu : Nous appelons à une louange publique qui chante, prêche et incarne l’histoire de Dieu. Nous appelons à une attention renouvelée sur la manière dont Dieu nous parle dans le baptême, l’eucharistie, la confession, l’imposition des mains, le mariage, la guérison et par l’intermédiaire des dons de l’Esprit, parce que ces actes forment notre vie et révèlent la signification du monde. Ainsi, nous appelons les évangéliques à se détourner des formes de louange qui tournent autour de Dieu comme simple objet de l’intellect ou qui revendiquent le moi comme source de l’adoration. De telles louanges ont eu pour résultat des modèles orientés vers la prédication magistrale, poussés par la musique, basés sur le spectacle et contrôlés par des programmes qui ne proclament pas de façon adéquate la rédemption cosmique de Dieu.
Une nouvelle humanité : cinq aspects de l’identité baptismale
Ainsi, dans le baptême, par notre identification avec la mort et la résurrection de Jésus, nous sommes incorporés dans cette nouvelle création, et désormais notre « identité » découle de cette nouvelle réalité, elle ne dépend plus uniquement de nos circonstances naturelles et historiques. Dans cet exposé, je veux étudier cinq aspects de cette nouvelle identité humaine qui nous est donnée par Jésus.
– une nouvelle communauté mondiale de personnes : Dans le baptême nous sommes incorporés dans une nouvelle humanité, le peuple mondial de Dieu, qui partage un seul Seigneur, une seule foi et un seul baptême qui unit une diversité d’ethnies, de nationalités et de cultures dans une nouvelle et merveilleuse unité « pluriculturelle » (Ephésiens 2.11-22 ; Galates 3.26-28)
– une nouvelle identité sociale : La vie sociale dans laquelle nous sommes accueillis renverse la tendance apparemment universelle des communautés humaines à créer des hiérarchies de domination et subordination, reposant sur la famille, les classes de compétence, le sexe et ainsi de suite (Philippiens 2.1-11 ; 1 Corinthiens 1.18-31 ; Colossiens 3.12-25)
– une nouvelle identité politique ou civique : Dans cette nouvelle société, chaque personne baptisée devient un membre qui participe activement à ce corps « civique » ou public qu’est l’Église. Divers commentaires parlent de la façon dont les paroles de Paul aux Éphésiens mêlent les langages civique et domestique : non plus des étrangers et des exilés, mais des concitoyens du peuple de Dieu et des membres de la maison de Dieu4. Cette nouvelle identité civique se reflète dans les enseignements sur la maisonnée, donnés dans Éphésiens, où il est fait appel à l’action responsable des partenaires, tant des supérieurs que des subordonnés (les femmes aussi bien que les maris, les enfants aussi bien que les parents, les esclaves aussi bien que les maîtres).
– une nouvelle identité morale et psychologique : Appartenir au peuple de Dieu nous donne un sentiment et une expérience d’action personnelle et morale, fondés non sur l’assertion de liberté ou de désir personnels, ou encore de développement des talents naturels, mais reposant sur l’œuvre intérieure du don et de la grâce de Dieu (Éphésiens 4.17-32).
– une nouvelle expérience de vie incarnée : Enfin, être baptisé c’est considérer notre corps comme ne nous appartenant pas, mais au contraire vivre dans l’anticipation et l’espérance de la résurrection, et non plus dans une vie définie par les dons, les talents ou les faiblesses de notre corps naturel (2 Corinthiens5.1-10 ; 1 Corinthiens 6.18-20 ; Romains 12.1 ; Hébreux 10.19-22).
Vivre une vie baptisée consiste en grande partie à manifester cette anticipation de la nouvelle vie au milieu de l’ancienne : continuer à faire l’expérience de la souffrance et de la croix de Jésus en même temps que celle du goût de la liberté de Jésus.
Il y a dans ce schéma de vie, une vie baptisée, plusieurs aspects que nous devons garder à l’esprit :
Le premier est qu’elle est tirée du Christ, ou fondée sur le Christ. Jésus est celui qui établit ce que veut dire être un humain (Hébreux 2.5-11). Ainsi, l’anthropologie chrétienne la plus fondamentale provient non de la « création » en elle-même, mais d’une compréhension de l’être créé redéfini par Jésus. Comme l’écrit Christoph Schwöbel :
la révélation de Dieu dans le Christ est le fondement de ce que signifie être humain. Ce qui implique, deuxièmement, que la véritable humanité du Christ est comprise comme le paradigme pour la véritable connaissance de l’être humain. Si le Christ, en tant que Deuxième Adam, est considéré comme le paradigme de ce que signifie être humain, cela signifie que le véritable schéma pour comprendre l’être humain n’est pas l’existence factuelle de l’humanité, mais la nouvelle humanité du Christ en qui l’humanité est créée et restaurée.
Le second est que c’est une vie vécue dans la force et la direction de l’Esprit Saint (Romains 8.1-17). Elle ne peut être vécue autrement. Elle est toujours un don, toujours quelque chose qui nous vient de l’Autre divin. Nous attendons de Dieu l’Esprit qu’il habite notre vie et nos circonstances. Nous recevons notre véritable moi comme un cadeau de Dieu (2 Corinthiens 3.15-18 ; 1 Corinthiens 13.8-12). C’est pourquoi la mise en scène de l’eucharistie est si importante pour nourrir notre marche sur les pas de Jésus.
Le troisième est que le baptême est une pratique sociale. Par le baptême nous sommes incorporés dans le corps du Christ et c’est dans la relation aux autres que nous connaissons l’œuvre de l’Esprit Saint (voir Romains 12.1 ; 1 Corinthiens 12 ; Éphésiens 4).
Quatrièmement, comme pour les autres pratiques dont parle Yoder, le baptême n’est pas une pratique « religieuse » isolée. C’est une pratique matérielle et politique, une façon d’être dans le monde. Vivre une vie baptisée suppose vivre « des vies ordinaires » de subsistance, de travail, de soins de santé et d’interaction sociale. Ce qui les rend différentes est qu’elles sont orientées vers le Christ.
Cinquièmement « le baptême » est une forme de mission, en ce que les croyants sont appelés à vivre leur baptême au milieu de personnes, d’institutions et de cultures qui peuvent être hostiles au Christ (Philipiens 1.27-30).
Sixièmement, dans notre monde post-chrétien, le baptême est vécu dans une culture qui a déjà été profondément infectée par l’Évangile. L’un des héritages de l’ère de la chrétienté est que notre culture occidentale a absorbé certaines des implications sociales et politiques clé du baptême, tout en cherchant maintenant à les vivre en faisant peu ou pas du tout référence à leur source dans le Christ.
Le défi d’un humanisme mondial post-chrétien : une nouvelle humanité sans le Christ ?
J’aimerais m’attarder un peu sur ce sixième point et sur le défi que les nouveaux idéaux, la rhétorique et la fragilité d’un humanisme mondial séculier posent aux disciples de Jésus quand ils essaient de vivre la réalité de leur nouvelle humanité dans le Christ.
* Pour beaucoup de gens, c’est aujourd’hui notre humanisme mondial, et non le Christ, qui est devenu l’expression de notre humanité commune. Notre humanité commune transcende les caractères distinctifs de race, de classe, de credo et de religion, y compris le christianisme, que nombre de personnes considèrent comme n’étant qu’une tradition religieuse parmi d’autres. L’éthique d’une humanité commune continue à inspirer les efforts nombreux et variés consentis en vue de l’avènement d’une plus grande égalité humaine, de la protection de divers droits humains civils, politiques et sociaux, et des améliorations aux conditions de vie de base de millions de personnes sur la planète.
* Au sein de la modernité occidentale en particulier, cette foi digne du siècle des lumières affirme un égalitarisme social fondamental par opposition à des systèmes plus anciens reposant sur des hiérarchies de classe ou de genre. Ses idéaux centraux sont ceux de démocratie, d’égalité des chances, de mesures de discrimination positive, d’anti-discrimination et ainsi de suite.
* Une modernité libérale occidentale affirme également une forme de politique démocratique et inclusive, reposant sur le droit de vote universel, la liberté d’expression et la protection du droit à la liberté d’association.
* La modernité libérale affirme également la liberté, l’autonomie et la responsabilité de l’individu : le droit et la capacité naturelle des individus à choisir ce qu’ils veulent être, à poursuivre quelque vocation, désirs ou intérêts qu’ils souhaitent, sans aucune contrainte d’habitude ou de tradition.
* Enfin, la modernité libérale est marquée par une attention particulière portée à la vie du corps, pour en habiliter et en étendre le potentiel. Les modernes récents sont obsédés par les possibilités de transformation de leur corps, mais bien évidemment cette espérance de transformation a été transférée du Christ à la technologie.
Les idéaux fragiles de la modernité libérale
Cependant, chacun de ces aspects d’un humanisme mondial occidental porte en lui-même une fragilité évidente :
* L’idée d’une humanité commune est menacée par les nouvelles formes de nationalisme et par la résurgence des anciennes formes de tribalisme, de racisme et de préjugés.
* Dans les sociétés modernes récentes, les idéaux d’égalité sont menacés par les nouveaux systèmes de hiérarchie, reposant sur la richesse, l’instruction, la puissance des réseaux et par les différentes expressions d’une « anxiété de statut » à mesure que la mobilité sociale amène de plus en plus de familles des classes moyennes à se laisser happer par la volonté de gravir les échelons de l’aspiration et de l’opportunité.
* En dépit du soutien universel pour la démocratie, il y a, même dans les démocraties de longue date, un sentiment d’aliénation et de cynisme qui saisit les citoyens qui se sentent exclus d’une participation efficace par l’auto-perpétuation des élites qui contrôlent les principaux partis politiques.
* Même l’idéal central de liberté de soi est menacé face à l’expérience d’une fluidité sociale et personnelle croissante imposée par la vie urbaine moderne, accompagnée d’une plus grande « anxiété ontologique » et de l’insécurité de relations personnelles plus brèves et provisoires.
* Enfin, la préoccupation de la beauté du corps dans la culture occidentale est, pour beaucoup, devenue obsessive, pathologique et idolâtre. Cependant, en dépit de toute cette attention et de tout ce soutien, l’agression des corps humains devient un problème de plus en plus grand.
Comment devrions-nous réagir ?
La puissance durable d’une vision d’une nouvelle humanité « sans credo ni religion » (pensez au chant séculier de John Lennon « Imagine »), accompagnée de la « privatisation » de la foi chrétienne, ont eu pour conséquence que nombre de chrétiens ont tout simplement absorbé une compréhension humaniste de la personne humaine. En dépit de leur relation personnelle à Jésus et de l’espérance d’une vie avec Dieu après la mort, de nombreux chrétiens pensent la vie sociale et politique en termes des langages séculiers des droits de l’homme, des libertés individuelles, de la démocratie, etc. D’autres chrétiens plus conservateurs, soucieux de la fragilité de ces idéaux, réagissent pour s’y opposer et embrasser le langage du nationalisme chrétien et des formes traditionnelles de hiérarchie et d’autorité.
Comment devrions-nous réagir ?
Premièrement, nous devons reconnaître humblement, comme le fait John Yoder, que c’est un « humanisme des lumières » plutôt que des Églises chrétiennes qui a contribué le plus à la propagation des idéaux d’égalitarisme social, de droits humains et d’une humanité commune fondamentale qui transcende les différences ethniques et nationalistes. Nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que ce sont ceux qui sont « en dehors de la foi » qui ont, sous certains aspects, été des pratiquants plus visibles de l’expression sociale de l’Évangile que ne l’ont été les traditions ecclésiales. (Toutefois, il ne faut pas exagérer cet aspect, mais garder à l’esprit les sacrifices consentis par nombre de missionnaires, de philanthropes chrétiens et de militants pour des réformes sociales.)
Néanmoins, nous devons deuxièmement reconnaître que la vision d’une nouvelle humanité dans l’esprit des lumières peut être déconstruite par la critique et, au bout du compte, manque d’un fondement clair et, qu’en tant que chrétiens, nous avons besoin de retrouver une vision alternative d’une humanité nouvelle fondée sur la pratique sociale du baptême dans le Christ.
Comme Yoder le fait remarquer, les idéaux d’égalité humaine universelle peuvent être déconstruits comme la rhétorique utilisée par des groupes sociaux qui cherchent à acquérir la puissance détenue par une institution existante :
L’égalité de tous tels qu’ils sont créés n’est certainement pas évidente. La plupart des habitants du monde, y compris la plupart des Américains du Nord, n’y croient pas vraiment. Les Pères fondateurs ont dit : « Tous les hommes sont égaux », mais ils voulaient dire tous les propriétaires terriens blancs – en excluant toutes les femmes, les hommes noirs, les indigènes d’Amérique et les pauvres.
À l’époque actuelle, le langage d’une humanité universelle peut également être déconstruit pour faciliter l’extension d’une culture mondiale de consommateurs, permettant la colonisation des cultures du monde par les institutions, les pratiques et la philosophie d’un capitalisme mondial, dans lequel il n’y a pas de discrimination contre ceux qui peuvent payer les biens et les services d’une économie mondiale.
Ce qui est alarmant, c’est qu’à mesure que la culture d’un humanisme des lumières dérive de plus en plus loin de ses racines chrétiennes, son manque de tout fondement ontologique clair pour enraciner et modeler la personnification morale devient de plus en plus évident. Il en résulte un nihilisme ambiant, nourri par la promotion de la célébrité, de la violence et du désir par diverses formes de média électroniques. Il existe des forces de réaction, rejetées comme « fondamentalismes », mais ces alternatives, y compris l’islam radical, pourraient être capables de soutenir une sorte de vie morale face aux acides de la modernité récente.
Il est donc urgent que nos communautés chrétiennes occidentales se repentent de leur compromis avec la vision du monde et les pratiques de la culture moderne récente, et redécouvrent les pratiques alternatives narratives et sociales, qui doivent être les véhicules permettant de manifester la vision d’une nouvelle humanité dans le Christ.
Une vision et une pratique d’une « nouvelle humanité » centrée sur le Christ sont très différentes de celles d’un humanisme des lumières. Je me bornerai à citer deux différences fondamentales :
Premièrement, notre identité d’être humain, avec ses droits et ses responsabilités, n’est pas au niveau le plus profond une possession naturelle ni un fait de la « création », mais un don qui nous est transmis par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ. Loin de rendre notre caractère humain plus provisoire et incertain, elle le rend en fait plus assuré et certain. Dans sa discussion sur « l’inclusion interethnique au-delà de l’Église », Yoder fait le commentaire suivant sur ce que n’a pas été l’américanisme libéré du racisme :
une notion d’égalité par la création, mais la bonne nouvelle de la rédemption. Il a été fortifié par un jugement théologique sobre sur l’égoïsme et le péché, comme dans la vision d’Abraham Lincoln. Cette vision d’une alliance de justice, qui n’a pas été mise en pratique par la nation, pouvait condamner et appeler à la repentance. Que ce soit dans la pensée des abolitionnistes ou dans celle de Lincoln, elle considérait l’égalité de dignité comme un don de la grâce et non comme une chose innée.
Deuxièmement, notre identité de membres d’une nouvelle humanité n’est pas une « carte » de membre, mais d’abord et avant tout une identification de sa source. Comme l’écrit Paul, en 2 Corinthiens 5.16-17, nous voyons désormais toute personne en relation au Christ. Grâce au Christ, toute personne, qu’elle soit juive ou païenne, esclave ou libre, homme ou femme est revêtue de valeur et de dignité, comme étant de celles pour lesquelles le Christ est mort. Être « chrétien » n’est pas acquérir une nouvelle identité ethnique ou nationale, ni même religieuse. C’est plutôt indiquer qu’au-delà de ces identités particulières, qui nous sommes repose dans la relation au Christ qui est ressuscité et monté au ciel, le Seigneur qui n’a pas honte de nous appeler ses frères et sœurs (Hébreux 2.11).
En fait, trouver notre véritable moi par le baptême dans le Christ n’efface pas les différences particulières qui nous différencient en termes de notre ethnicité, de notre sexe et de nos traditions culturelles. Comme le soutient Will Cavanaugh, dans son essai « The World in a Wafer » (« Le monde dans une gaufrette »), appartenir au peuple mondial de Dieu ne dissout pas nos particularités dans un humanisme abstrait ou un cosmopolitisme de marché, mais cela recadre ces différences au sein d’un ordre de soumission et d’amour mutuels.
Vivre d’une manière fidèle à notre appel baptismal n’est pas quelque chose de simple, uniquement une question de confiance et d’obéissance, de motivation, d’amour et de discipline. Cela exige aussi de notre part sagesse, discernement et perspicacité. C’est quelque chose que nous devrions être capables d’encourager dans une communauté de conversation, nourrie par la philosophie de l’eucharistie et par notre vie ensemble.
Je vous encourage donc, mes frères, au nom de la magnanimité de Dieu, à offrir votre corps comme un sacrifice vivant, saint et agréé de Dieu ; voilà quel sera pour vous le culte conforme à la Parole. Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréé et parfait (Romains 12.1-2).
../../spip.php?article161#sdfootnote1anc1 Susan Wood, « Le baptême comme marque de l’Église » dans Marks of the Body of Christ [Marques du Corps du Christ] (éd. Carl Braaten et Robert Jenson), Grand Rapids, Eerdmans, 1999, 25-43 [28].
../../spip.php?article161#sdfootnote2anc2 John Howard Yoder, Body Politics : Five practices of the Christian community before a watching world [La politique du Corps : Cinq pratiques de la communauté chrétienne face au monde spectateur] Nashville, Discipleship Resources, 1992, 30.
../../spip.php?article161#sdfootnote3anc3 Robert Webber, Phil Kenyon et autres, » A Call to an Ancient Evangelical Future » [Appel à un avenir évangélique ancien] (http://www.ancientfutureworship.com/index.html Visité en décembre 2006)
../../spip.php?article161#sdfootnote4anc4 Bernd Wannenwetsch, « The Political Worship of the Church : A Critical and Empowering pratice » [La louange politique de l’Église : une pratique critique qui rend fort et responsabilise] Modern Theology 12,3 (juillet 1996) 269-299)
../../spip.php?article161#sdfootnote5anc5 Christoph Schwöbel, « Être humain en tant qu’être relationnel : Douze thèses pour une anthropologie chrétienne » dans Persons Divine and Human [Personnes divines et humaines] éd. Christoph Schwöbel et Colin Gunton, Edimbourg T&T Clark 1991, 141-165
../../spip.php?article161#sdfootnote1anc1 Yoder, Body Politics [Politique du Corps], p. 35.
../../spip.php?article161#sdfootnote2anc2 Yoder, Body Politics [Politique du Corps], p. 35.
../../spip.php?article161#sdfootnote3anc3 William Cavanaugh, « The World in a Wafer : A Geography of the Eucharist as Resistance to Globalization » [Le monde dans une gaufrette : une géographie de l’eucharistie comme résistance à la mondialisation] Modern Theology, 15, 2 (Avril 1999). Voir également le chapitre de John H. Yoder sur « Revolutionary Subordination and Love » (Soumission et amour révolutionnaires » dans Jésus et le politique, Lausanne, PBU, 1984.
../../spip.php?article161#sdfootnote1anc
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